C’est le genre d’erreur typique que l’on commet pour la bonne cause. Pour démontrer que les femmes peuvent aussi bien tenir des rôles dominants que les hommes, on cite souvent les abeilles et les fourmis où la « reine » organiserait tout. Sauf que ces reines ne sont pas à la tête de la ruche ni de la fourmilière
Il est vrai qu’elles sont bien organisées les sociétés d’hyménoptères, avec leurs ouvrières, leurs guerrières et, à la tête, leur reine. En fait, ces sociétés sont totalement auto-gérées et chacun sait bien quel rôle il doit remplir grâce à des stimuli émanant de l’ensemble de leurs congénères ou de l’environnement.
Récemment, on a découvert que toute cette belle organisation n’était absolument pas due à un comportement « robotisé » des individus qui seraient incapables d’avoir d’autre pensée que celle de la production. Au contraire : il existe au sein de la fourmilière, et peut-être de la ruche, des frictions entre individus qu’ils règlent le plus souvent pacifiquement, par le dialogue ou du moins par la reconnaissance par l’un des droits de l’autre.
Mettre de l’humain chez l’animal
En fait, ces images sont typiquement issues d’un anthropomorphisme dont on a mis très longtemps à s’éloigner en éthologie. Au début du XIXe siècle, lorsque les premières études sur les sociétés hyménoptères sont effectuées, on parle même d’un « roi » à la tête des ruches et fourmilières tant il paraît impossible que ce soit autre chose qu’un mâle qui dirige.
Et quand on comprend que le rôle principal de cet être unique et plus gros que les autres est la ponte d’œufs par milliers (jusqu’à 2.500 par jour chez les abeilles), on admet le titre de « reine ». Mais comme cette analyse est faite par des humains, il leur paraît inconcevable qu’une société qui fonctionne aussi bien puisse ne pas être dirigée par un être unique qui donne les ordres. Sauf que le seul ordre que donne le « reine » est celui qu’elle émet par ses phéromones et qui est celui de la reproduction. Comme idéal féministe, on fait mieux.
Le sexe crée des conflits
De même, l’image de société parfaite est remise en question récemment et l’on découvre, notamment chez les fourmis, qu’il peut exister des tensions. Et là, comme chez nous… c’est le sexe qui crée des conflits. Ou plutôt, le besoin de disséminer ses gênes. En effet, la « reine » pond des œufs mâles lorsqu’elle n’est pas fécondée ou des œufs femelles lorsqu’elle l’est. Et ça lui est égal, mâles comme femelles auront ses gênes.
Pour les ouvrières, c’est autre chose : elles partagent plus de gênes avec leurs sœurs qu’avec leurs éventuels frères et il leur arrive de tuer des œufs mâles pour se retrouver entre dépositaires des mêmes gênes. Alors que l’intérêt de la colonie est d’arriver à une égalité.
En fait, la seule chose qui pourrait donner à penser que la reproductrice donne des ordres, c’est que les ouvrières la nourrissent et assurent son ménage. Mais en fait, c’est uniquement pour qu’elle garde toutes ses forces pour la reproduction. Et lorsqu’elle n’y parvient plus, chez les abeilles, les ouvrières la tuent en se pressant autour d’elle. Il y a des trônes plus désirables…
Jean-Luc Eluard