Crèches, écoles collèges et lycées vont progressivement rouvrir dans les prochains jours. Dans un entretien en deux volets, les professeurs de pédiatrie Christèle Gras-Le Guen, vice-présidente de la société française de pédiatrie, et Régis Hankard, coordonnateur du réseau de recherche clinique pédiatrique Pedstart, font le point sur ce que l’on sait des conséquences de la maladie chez les enfants, ainsi que sur les enjeux de la recherche clinique en pédiatrie.
The Conversation : a-t-on une idée du nombre d’enfants touchés par le SARS-CoV-2 en France ?
Christèle Gras-Le Guen : Cela a été assez compliqué de se faire une idée. Dès que les premières alertes ont été lancées, nous avons essayé de répertorier les données cliniques disponibles en pédiatrie. Nous avons pour cela mis en place un observatoire appelé « Pandor ». Celui-ci permet de tenir les comptes à jour, à chaque fois qu’un jeune patient est hospitalisé suite à une infection par le coronavirus SARS-CoV-2.
D’après les données collectées dans le réseau des pédiatres, environ 12 000 enfants ont été testés sur une suspicion de Covid-19, et 6,3 % de ces tests se sont avérés positifs. Ce qui fait un peu plus de 700 cas. Il faut rappeler que la façon de tester a évolué au fil de l’épidémie. Dans un premier temps, quand une personne infectée par le coronavirus était identifiée (un « cas contact »), on cherchait les sujets susceptibles d’avoir été contaminés autour d’elle. Puis, dans un second temps, il a été décidé de ne plus tester que les patients symptomatiques. La proportion de tests positifs a donc évolué dans le temps, cependant il est intéressant de noter qu’au bout du compte, seuls 6 % des tests sont positifs.
On constate que la répartition est très différente selon les régions, la plupart des enfants positifs ont été testés dans la région Île-de-France, un des principaux foyers de l’épidémie. Autre point intéressant : bien que de nombreux tests aient aussi été faits dans la région de Marseille dans le cadre des projets menés à l’IHU, les taux de contamination ont été similaires à ceux d’Île-de-France : sur 5000 enfants testés, 300 se sont avérés positifs.
TC : qu’en est-il de l’évolution de la maladie chez les enfants ?
C. G-LG : Santé Publique France publie régulièrement des chiffres avec des classes d’âge qui nous permettent de nous tenir à jour. Sur l’ensemble des enfants contaminés, une trentaine a été admise en réanimation, et malheureusement deux décès sont à déplorer. La plupart des enfants passés en réanimation avaient des pathologies chroniques sous-jacentes qui en faisaient des enfants vulnérables : des maladies affectant le système immunitaire et les défenses contre les microbes, ou des maladies du métabolisme très complexes.
En revanche, une des deux enfants décédés n’avait aucune maladie sous-jacente connue. Nous ne pouvons pour l’instant pas tirer de conclusion quant aux raisons de cette issue tragique, mais ce que l’on sait, c’est que la jeune fille concernée avait 16 ans, soit un âge qui la rapproche plus de l’adulte que de l’enfant.
TC : En quoi consistent les tests de détection ?
C. G-LG : Les tests en question visent à identifier le génome du virus dans les voies aériennes du patient. On réalise pour cela une RT-PCR (ndlr : Reverse Transcription Polymerase Chain Reaction, test permettant de détecter la présence de matériel génétique viral) sur des prélèvements de mucus réalisés au niveau des voies aériennes supérieures. Chez les enfants comme chez les adultes, ceux-ci se font grâce à des écouvillons flexibles (de taille adaptée, bien entendu – pour en avoir réalisé quelques-uns, je peux rassurer les parents : je n’ai pas le sentiment que ce soit pénible ni douloureux pour les enfants).
On sait aussi qu’à mesure que l’infection progresse, le virus peut changer de localisation dans l’organisme. On peut par exemple aussi le retrouver dans les matières fécales, donc maintenant lorsqu’on a un doute on fait réaliser une analyse de selles.
TC : Est-ce que ces tests ont permis de dresser des constats particuliers ?
C. G-LG : Les nouveau-nés ont été particulièrement suivis, car la question de leur contamination était préoccupante. Ces enfants font d’ailleurs l’objet d’un recueil et d’un registre spécifiques. Ce qui nous a surpris est que, sur l’ensemble des tests effectués en maternité, très peu se sont avérés positifs. Le point important à souligner est qu’aucun de ces nouveau-nés n’a développé de forme grave de la maladie.
Quelques-uns de ces bébés ont été infectés alors que les tests de leurs parents étaient négatifs. C’est étonnant, mais comme on a affaire à une infection qui évolue dans le temps, on peut tout à fait imaginer qu’une personne ait été contagieuse, qu’elle ait contaminé son enfant, et que le temps que le nouveau-né lui-même développe la maladie, la personne qui l’a contaminée soit devenue négative.
Ce qui a été bien plus étonnant, ce sont les cas des mères positives pour le virus, mais dont les nouveau-nés n’ont pas été infectés, malgré une grande proximité. Pour l’instant on ne sait pas comment c’est possible. Nous avons proposé à toutes ces familles de participer à des protocoles de recherche. À chaque fois que c’était possible et que les parents étaient d’accord, nous avons prélevé des échantillons pour déterminer s’il existe une réponse immunitaire particulière au niveau des muqueuses, ainsi que du sérum, de l’ADN… Cependant à l’heure où je vous parle, le mystère reste entier.
Nous avons conscience de manquer de données, et nous restons très modestes en l’état actuel des connaissances. Cependant les informations disponibles semblent indiquer que le SARS-CoV-2 ne « s’accroche » pas beaucoup chez l’enfant. Et que quand il s’accroche, il ne provoque pas de forme grave de la maladie.
TC : sait-on pourquoi les enfants n’attrapent pas plus ce virus ?
C. G-LG : Selon certaines hypothèses, cela pourrait être dû au fait que les petits enfants auraient un système de défense antiviral assez performant, car ils vivent dans un environnement très riche en virus, et ont l’habitude d’en croiser beaucoup. Mais ça n’explique pas le cas des nouveau-nés évoqué précédemment. En outre, ce schéma est très différent de ce qu’on connaît habituellement. Généralement, les maladies infectieuses sont dangereuses pour les tout-petits et pour les plus âgés, dont le système immunitaire est fragilisé par le vieillissement.
Le virus de la grippe, qui peut être mortel pour les personnes âgées et pour les enfants en bas âge, est à ce titre emblématique. La vulnérabilité des tout-petits s’explique par le fait que leur système immunitaire, encore immature, met plus de temps à produire les réponses visant à se débarrasser des microbes. Classiquement, jusqu’à 5 ans les enfants sont par exemple plus à risque d’infections bactériennes sévères. Leur système immunitaire n’est pas encore en mesure de les défendre de façon efficace contre des bactéries qui, plus tard, ne leur feront ni chaud ni froid.
Avoir une maladie qui s’avère grave pour les plus âgés et qui n’est pas grave pour les tout petits, c’est du jamais vu. On est dans une situation très particulière, avec un microbe qui ne ressemble à rien de ce qu’on connaissait jusqu’alors.
TC : cette situation pourrait-elle s’expliquer par le fait que le virus infecte moins efficacement les enfants ?
C. G-LG : Peut-être. D’autres hypothèses postulent notamment que ce virus pourrait avoir besoin de certains récepteurs cellulaires qui ne sont pas encore extériorisés chez l’enfant. C’est possible, mais pour l’instant ce ne sont que des hypothèses. On ne sait pas non plus pourquoi quand ce virus parvient à « s’accrocher », l’enfant développe une réaction inflammatoire très différente de celle de l’adulte.
Avec quelques mois de recul, on a l’impression que ce qui fait la gravité de la maladie, ce n’est pas tant le caractère pathogène du virus que la façon dont on réagit à l’infection. Autrement dit, la réaction immunitaire de l’adulte est parfois beaucoup plus sévère, et finalement inadaptée, face à ce virus qui n’a pas l’air très pathogène.
De nombreux travaux sont en cours concernant la réponse de l’hôte à l’infection. La production de la réponse inflammatoire, en particulier, est très étudiée, car elle a l’air différente chez l’enfant et chez l’adulte. C’est très inhabituel, preuve que cette maladie est totalement originale. Cela ouvre des perspectives de recherche tout à fait intéressantes. Le jour où on aura trouvé les réponses à ces questions, on aura probablement aussi des armes thérapeutiques efficaces chez l’adulte.
TC : quels sont les symptômes à surveiller ?
C. G-LG : Le principal problème est que les symptômes sont très peu spécifiques. Dans la plupart des cas, il s’agit de toux, de fièvre, de maux de gorge. Quelques angines, quelques pharyngites, quelques bronchites, quelques infections respiratoires ont été décrites, mais au final les symptômes ressemblent beaucoup à ceux qu’engendrent tous les virus de l’hiver. Autrement dit, dès que vous avez de la fièvre et le nez qui coule, vous êtes susceptibles d’avoir le Covid-19…
En outre, on pense qu’environ 30 % d’enfants ne présentent pas de symptômes, ou des symptômes très peu marqués (une proportion similaire à celle estimée pour la population générale). Ces porteurs asymptomatiques ont tout loisir de contaminer leur entourage, cependant la situation varie beaucoup d’un individu à l’autre : certains asymptomatiques ne contaminent personne, tandis que dans certains hôpitaux parisiens on a relevé quelques cas emblématiques de patients qui ont contaminé 3 ou 4 soignants autour d’eux. Cela dépend de la quantité de virus excrétés, mais on ne sait pas encore pourquoi certains en excrètent plus.
La seule particularité, peut-être, par rapport aux autres infections virales respiratoires que l’on connaît, comme la grippe et la bronchiolite, c’est l’existence, parfois, d’atteintes cutanées, des sortes d’engelures au niveau des doigts. Chez l’adulte, des anomalies de la coagulation et des atteintes des petits vaisseaux (vascularites) ont été décrites. Ces engelures pourraient en résulter. Une chose est sure : leur existence montrent que cette maladie respiratoire n’est définitivement pas comme les autres.
Quelques adolescents ont aussi décrit des anomalies au niveau de la perception du goût et des odeurs, comme certains adultes. On ne peut cependant pas savoir les plus petits sont aussi touchés, car ils sont incapables de décrire précisément le phénomène.
TC : la maladie de Kawasaki a également fait les gros titres ces dernières semaines, pourriez-vous nous en dire un mot ?
C. G-LG : Il s’agit d’une maladie pédiatrique qui concerne habituellement plutôt de jeunes enfants, âgés de 3 à 6 ans. On ne connaît pas bien son origine, qui implique probablement plusieurs mécanismes. Elle peut parfois être d’origine post-virale : un certain nombre de cas ont par exemple été décrits après des infections par d’autres coronavirus.
Cette maladie est habituellement rare : dans l’hôpital où je travaille, au CHU de Nantes, on en voit habituellement peut-être un par mois. Or, voici une quinzaine de jours, le nombre d’observations a fortement augmenté à l’hôpital Necker, où ont été centralisés les enfants malades (car les autres réanimations pédiatriques ont été utilisées pour les adultes) : 15 Kawasaki ont été diagnostiqués le même jour. C’est ce qui a donné l’alerte, car statistiquement, il n’aurait pas dû y avoir autant de cas de cette maladie classique, mais rare.
Après avoir fait le tour des divers services du pays qui accueillent les enfants, environ 50 observations ont été comptabilisées au total, ce qui reste faible. En outre, tous ces cas ont évolué favorablement après administration du traitement habituel du Kawasaki (une perfusion d’immunoglobuline).
TC : tous ces enfants avaient-ils été infectés par le SARS-CoV-2 ?
C. G-LG : seul un tiers des enfants avaient une PCR positive pour ce coronavirus. Cependant la recherche d’anticorps anti-Covid-19 chez les autres a montré que la plupart étaient positifs (sachant qu’il peut aussi y avoir des faux négatifs lors des tests sérologiques).
Par ailleurs, la majorité de ces Kawasaki ont été observés dans les régions qui constituaient les clusters de départ de l’épidémie : en Île-de-France, à Nancy, à Strasbourg… Ils sont en outre survenus 2 à 4 semaines après la pandémie.
On peut donc penser qu’il y a bien un lien entre le Covid-19 et cette affection. On a probablement affaire à des réactions inflammatoires qui surviennent alors que l’infection est terminée. C’est un cas assez classique chez les enfants.
TC : l’obésité est un facteur très aggravant chez l’adulte. Qu’en est-il chez l’enfant ?
C. G-LG : Nos collègues qui s’occupent des adultes décrivent effectivement des patients qui sont pour la plupart obèses. Chez l’enfant, il n’existe pour l’instant aucune explication évidente établissant un lien entre la sévérité de la forme et l’obésité. Parmi la trentaine d’enfants admis en réanimation, il y avait bien quelques enfants obèses, mais ce n’était pas le cas de tous. Et le virus n’a fait ni chaud ni froid à un grand nombre d’enfants obèses.
À lire aussi :
Conversation avec Frédéric Altare : l’obésité, facteur très aggravant du Covid-19
On constate cependant que les quelques enfants admis en réanimation étaient des adolescents. On peut donc imaginer que ces formes se rapprochent de celles de l’adulte. Existe-t-il une différence entre la réponse des adolescents au virus et celle des enfants plus jeunes ? Nous n’avons pas encore assez de données pour pouvoir répondre à cette question. Mais on se doute qu’il n’y a pas un âge où on fait les formes de l’enfant, puis subitement un âge où on passe aux formes de l’adulte… Il existe forcément un continuum. L’adolescence est probablement une période de transition entre les deux.
TC : a-t-on identifié d’autres maladies qui aggraveraient l’infection par le coronavirus chez l’enfant ?
C. G-LG : Non, aucune pathologie n’a été identifiée qui justifierait de prendre des mesures particulières pour protéger les enfants. Il faut rassurer les familles : cette maladie, dont on ne connaît certes pas tout, n’a absolument pas montré de caractère inquiétant chez les jeunes.
C’est non seulement vrai pour les enfants qui sont en bonne santé, mais il faut aussi souligner que l’ensemble des sociétés savantes s’est prononcé sur le cas des enfants atteints d’obésité ou de pathologies chroniques telles que diabète, mucoviscidose, ou ceux prenant des traitements immunosuppresseurs : dans l’immense majorité des cas, il n’y a pas de contre-indications à ce que ces enfants, considérés d’habitude comme fragiles et qu’on garde à l’abri des infections virales, ne retournent à l’école. Moyennant, évidemment, des mesures de protection pour les plus fragiles, tel que port du masque.
C’est très inhabituel, car dans le cas de la grippe, par exemple, l’inquiétude est toujours grande s’agissant des enfants asthmatiques ou des enfants atteints de maladies respiratoires chroniques telles que la mucoviscidose. Rien de tel n’a été observé dans le cas du SARS-CoV-2. Inutile donc de penser que ses enfants seront davantage protégés si on les garde à la maison.
Étant donné les recrudescences de violences conjugales et de maltraitance infantile observées depuis la mise en place du confinement, pour certains enfants le véritable risque, malheureusement, serait même plutôt de rester chez eux…
Régis Hankard, PU-PH, Professeur de Pédiatrie, Inserm UMR 1069 « Nutrition, Growth Cancer » & Inserm F-CRIN PEDSTART, Université de Tours, CHU de Tours, Inserm et Christèle Gras-Le Guen, Professeur des Université en pédiatrie, chef du service de pédiatrie générale et des urgences pédiatriques, hôpital Mère Enfant, CHU Nantes, Université de Nantes
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image par Ben Scherjon de Pixabay