Les cheveux, comme les autres poils, sont les seuls éléments corporels (avec ces autres phanères que sont les ongles) que l’on peut modifier sans grand risque biologique. On peut les couper, les raser, en modifier la forme et le volume, les friser, les défriser, les crêper, les dresser en crête, les tresser, les natter, les tisser, les exhausser à l’aide d’un cimier comme dans certaines coiffures africaines, les oindre et les modeler avec des corps gras, les teindre, les déteindre, etc. Ces manipulations, ces « bricolages » sont d’autant plus loisibles que la pilosité ne sert plus biologiquement et physiologiquement à grand-chose : sa fonction de thermorégulation a complètement disparu chez Homo au fil de l’évolution depuis Homo ergaster il y a 1,7 million d’années.
Sa fonction de protection est infirmée par les usages culturels ; les chauves s’accommodent du soleil et la mode, chez les hommes, est de se raser l’ensemble du crâne dès une calvitie naissante. Le moins que l’on puisse dire est que les sociétés prennent leurs aises avec ces poils censés protéger leurs membres. Et c’est précisément parce que la pilosité est un vestige largement inutile qu’elle se prête sans problème à autant de bricolages.
Image de soi
La coiffure – et c’est là une de ses propriétés remarquables – permet donc d’entretenir son apparence voire de tricher, de donner, pour soi et pour les autres, une image de soi conforme à ce que l’on souhaite. On peut ainsi tricher sur son âge en teignant ou en faisant teindre les racines de ses cheveux qui blanchissent ; les fausses blondes – et les faux blonds – peuvent tricher également en décolorant leurs cheveux bruns qui réapparaissent cependant s’ils ne sont pas traités régulièrement par un professionnel ; les mèches multicolores demandent de la même façon un entretien régulier ; on peut encore modifier son apparence en allongeant ses cheveux par des fibres végétales ou par des cheveux humains (faisant l’objet d’un commerce lucratif à longue distance).
Ces manipulations, coûteuses pour certaines, sont plus fréquentes chez les femmes pour qui la chevelure est associée à la féminité et à la séduction. Les traits distinctifs des jeunes filles ne sont plus tant leurs vêtements que leur chevelure, longue en général. Selon une vieille tradition euro-méditerranéenne, à l’ostentation des signes pileux de la virilité (barbe, moustache, poils sur le torse) correspond la dissimulation de la chevelure féminine réputée tentatrice. C’est pour cette raison – faut-il le rappeler ? – que la coutume musulmane prescrit le port du voile, que les juives traditionalistes doivent, mariées, avoir le crâne couvert d’une perruque, que le proverbe, au début du XXe siècle, stigmatisait chez nous les femmes sortant la tête nue : « Femme en cheveux, viens si tu veux ».
Portée symbolique
Renoncement, humiliation, rébellion sexuels se traduisent toutes par une modification de la chevelure qui en souligne la portée symbolique : rasage des cheveux lors de l’entrée dans plusieurs ordres féminins catholiques (sainte Thérèse de Lisieux versa une larme quand sa sœur, elle aussi religieuse, lui coupa son ample chevelure blonde avant sa profession d’entrée au Carmel) ; « tonte » des femmes adultères ou ayant pratiqué la « collaboration horizontale » pendant la Deuxième Guerre mondiale ; perte des cheveux à la suite d’un traitement chimiothérapeutique, une des épreuves les plus pénibles infligées à la féminité ; chevelure foisonnante et visible, emblème de la révolte des féministes juives qui ont pris pour symbole Lilith, la première femme d’Adam selon la tradition kabbalistique, qui porte des cheveux longs, libres et flottants.
Arme de séduction et de distinction sociale, la chevelure entretenue est, pour les deux sexes, un élément important dans l’estime et la présentation de soi, dans les relations sociales, attirant, comme l’état du vêtement, égards, pitié ou rejet. Qu’en est-il en cette période de confinement ? Deux tendances se font jour : un relâchement, similaire à celui que l’on constate souvent pendant les vacances ou lors de la retraite ou encore le plaisir de ne plus s’assujettir aux normes quotidiennes : cheveux et barbe – pour les hommes – sont négligés ; les soins apportés à la chevelure semblent n’avoir de sens que contraints par les exigences de la vie sociale. À l’opposé, l’entretien de ses cheveux et de son apparence même dans le confinement repose sur la volonté de garder une image conforme et positive de soi et de ne pas déchoir face à ses proches. On multiplie alors les stratagèmes (les sprays couleur, par exemple) pour conserver la même contenance.
Lors d’une année ordinaire, confier ses cheveux au coiffeur est vécu soit une contrainte dont on veut se débarrasser au plus vite soit un des rares moments où le temps et l’argent dépensés le sont pour soi et non pour les autres (ses enfants, sa famille…). La fréquence de ces soins varie d’une catégorie de la population à l’autre ; hommes et femmes recourent au coiffeur en moyenne quatre fois par an, mais certaines clientes dix fois et plus. Si, aujourd’hui, un quart de la population choisit de faire venir le coiffeur à domicile – hors période de confinement bien sûr–, le salon de coiffure demeure un lieu de sociabilité où s’échange une parole qui rompt avec les routines ordinaires. Le ton y est plus détendu, la conversation aborde des sujets (le corps, ses plaisirs, ses tracas en particulier), souvent proscrits dans le quotidien.
Quelles que soient ses options capillaires, retrouver son salon de coiffure sonne le retour à une vie normale et, pour certains… plus contraignante.
Christian Bromberger, Anthropologue, professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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