Les événements sont parfois plus forts que les hommes. Après avoir traversé plusieurs zones de turbulences (session 2019 perturbée par des grèves, guérilla des E3C, début 2020), le chantier de la réforme du bac vient d’être bouleversé par la pandémie de coronavirus, qui a conduit au choix d’un bac totalement en contrôle continu.
C’est sans doute un choix judicieux dans les circonstances actuelles, pour des raisons tenant à la santé, à la sécurité, et à la logistique. Mais ne pourrait-on faire de ce choix contraint un véritable choix de raison ?
Pour le ministre, ce choix répond à trois critères. Ce sera un véritable bac, qui ne lèse pas les élèves. Il garantit la qualité et l’équité du diplôme. Il permet d’assurer un maximum d’heures d’enseignement en juin. L’avenir nous dira si le troisième critère est respecté. Tout le problème, aujourd’hui, est de savoir si les deux premiers le sont.
Le bac 2020 sera-t-il un véritable bac ?
La pandémie ne serait-elle pas venue remettre en cause un modèle républicain de certification scolaire ? Le bac sert à certifier un niveau de connaissances et de compétences à la fin des études secondaires.
La plupart des pays ont mis en place un examen dit de « maturité », sanctionnant ce niveau d’études. L’intérêt de la société est de s’assurer que le diplôme qu’elle délivre atteste à la fois de la réalité, et du niveau, des acquisitions qu’elle a jugées indispensables.
Le choix de la bonne formule d’évaluation pour un examen tel que le bac met en jeu deux tensions différentes, bien qu’entrant en corrélation :
- la première oppose le terminal au continu,
- la seconde, le national au local.
On pense souvent que le national offre les meilleures garanties d’équité, car l’organisation d’épreuves nationales permet de respecter, formellement, l’égalité des candidats, en assurant l’indépendance vis-à-vis des pressions locales. Et que le terminal offre les meilleures garanties de validité, car on ne saurait demander à un apprenant de valider ses compétences avant la fin du temps dédié à leur apprentissage !
Mais cela conduit-il à un modèle unique de baccalauréat, organisé nationalement, sur des épreuves terminales ? Pour lutter contre les effets indésirables du duo terminal/national (lourdeur, bachotage, dimensions « couperet » et « loterie », stress), le « nouveau bac », promu par Jean‑Michel Blanquer, associait un contrôle terminal et national à un contrôle continu spécifique, avec des épreuves locales. C’était bien un vrai bac.
Mais le bac 2020, en supprimant tout ce qui est national, et terminal, ne sort-il pas du cadre de ce qui est acceptable ?
La localisation, atteinte ou non à l’équité ?
La première question est de savoir si une évaluation locale peut avoir une valeur nationale. Le « localisme » n’introduit-il pas trop d’aléas ? On peut observer que l’égalité assurée par une épreuve nationale est formelle, bien plus que réelle. Car si les sujets d’examen sont nationaux, l’inévitable pluralité des correcteurs est déjà synonyme de rupture d’égalité.
Les correcteurs, qui ne sont pas des robots, sont différents d’une ville, et d’une région, à l’autre. Si on prend en compte cette diversité, l’égalité que garantirait le contrôle terminal est plus de l’ordre de la fiction, que de la réalité.
Tout contrôle est à la fois local, les examinateurs étant des individus particuliers, et national, leur « verdict » ayant une valeur générale pour l’institution scolaire. Ce dernier point a été très bien souligné par Yves Chevallard (Texte à retrouver dans l’ouvrage L’évaluateur en révolution) :
Tout « juge » parle, et soutient son dire, en tant que sujet passionné d’une institution… Il faut à l’énonciateur la force et la légitimité d’une institution pour soutenir son dire.
Dans l’institution scolaire, tous les jugements, prononcés au nom de l’institution, valent dans tout l’espace régi par l’institution. La plus quotidienne des évaluations faites en classe a valeur dans toute l’institution scolaire. L’enseignant d’un lycée en difficulté émet des jugements dont la valeur est égale à ceux émis par les enseignants des lycées les plus prestigieux.
Le contrôle continu, atteinte ou non à la qualité du diplôme ?
Comme la sanction ne peut intervenir, en toute équité, qu’à la fin d’un travail d’enseignement et de formation, on pouvait craindre que les épreuves spécifiques d’évaluation continue (les E3C) introduites par la réforme du bac ne marquent l’irruption, aussi intempestive qu’injuste, du temps de la certification des compétences dans le temps de la formation.
Mais cette crainte tombe avec le contrôle continu simple, qui prend en compte les résultats obtenus tout au long d’une année scolaire, voire d’un cycle.
Par ailleurs, avec une seule épreuve terminale par discipline, le champ de probation offert aux lycéens est particulièrement étroit. Il est difficile de dire avec certitude, sur une seule épreuve, si, oui ou non, une connaissance, ou une compétence, sont maîtrisées, d’une façon générale, et pérenne. Alors que la, ou les compétences, dont la maîtrise est visée, peuvent se manifester de façon plus claire et indiscutable tout au long de l’année, à l’occasion d’épreuves, plus variées, et plus ouvertes.
La valeur certificative d’un contrôle continu reposant sur les épreuves et les notes scolaires habituelles est, de fait, reconnue par la pratique des universités et grandes écoles qui, dans le cadre du dispositif « Parcoursup », choisissent leurs futurs étudiants avant qu’aient été passées les épreuves terminales du bac.
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Si bien que, le choix du « contrôle continu simple » risquant d’être de plus en plus imposé par les turbulences de toutes sortes, le temps est peut-être venu de faire de ce choix, aujourd’hui contraint par les circonstances, un choix réfléchi, et volontaire.
Faisant en quelque sorte de nécessité vertu, on pourrait s’orienter lucidement, résolument, et définitivement, vers ce choix, qui non seulement dédramatise la préparation de l’examen, mais encore redonne leur pleine légitimité d’évaluateurs à tous les enseignants de lycée.
Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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