Réutiliser des coproduits alimentaires : la réflexion bat son plein. A Anglet, une jeune société valorise les écailles de poisson et donne naissance à un matériau inédit, résistant et esthétique, flirtant entre le marbre et le bois.
« Les écailles des poissons sont parfois transformées en farine animale mais celle-ci n’a pas de grande valeur nutritive ; les écailles étant essentiellement composées de minéraux, phosphate de calcium et d’un peu de collagène, soit un liant naturel. Pour les mareyeurs, les écailles sont surtout des déchets vécus comme une contrainte. Une plaie, même disent certains », explique Edouard de Dreuzy. En association avec son cousin designer Eric de Laurens, cet entrepreneur du Pays basque, qui a créé en 2018 la société Scale, a multiplié depuis deux ans les essais et recherches afin de donner une seconde vie à ce déchet jusqu’alors « inutile ».
Leur procédé ? Les écailles de poissons sont déshydratées, broyées et réduites en une poudre stable. Cette dernière est ensuite compressée et séchée pour donner naissance à des plaques de 30 cm/30 et de quelques millimètres d’épaisseur à «l’aspect pierreux, lisse et froid au toucher, entre le marbre et le bois, avec une texture très agréable, doté à l’état brut d’une belle couleur grisée », décrit Edouard de Dreuzy, qui a surnommé justement ce nouveau matériau, la Scalite, mélange de l’anglais Scale pour écailles et de lithos qui signifie pierre en grec.
La résistance du béton et la flexion de l’aggloméré
Bien qu’inédit, ce nouveau matériau se travaille avec les outils conventionnels du bois : fraiseuse, raboteuse ou dégauchisseuse… « On peut aussi le mouler et le teinter par l’ajout d’adjuvants naturels. Des collaborations sont en cours avec les Universités de Pau et de Bretagne sur cet aspect mais afin également de mieux étudier la composition et les caractéristiques de ce matériau », ajoute le co-fondateur de Scale. D’ores et déjà, il assure que la Scalite a démontré une forte résistance à la compression, « tel un béton et une flexion, qui elle, s’approche des matériaux en aggloméré ».
Toujours en phase de prototypages, la start-up, qui envisage de passer d’ici à la fin de l’année, en phase de production, veut séduire en premier les architectes d’intérieur et designers, pour des applications dans d’habillage mural de boutiques, mobilier et éclairage, mais aussi la fabrication d’accessoires de maison ou de mode, chargeurs de téléphone, lunettes…etc. « Tous ceux sensibles à utiliser un matériau issu du vivant, non délétère pour l’environnement et biodégradable », précise Edouard de Dreuzy.
Une tonne d’écailles pour 35 m2 de matériau
Côté ressources, pas de soucis ! « Il y aurait 10 à 20 000 tonnes d’écailles disponibles pour chaque espèce de poissons en Europe, avec également de nombreuses ressources dans des pays comme le Maroc ou l’Asie », ajoute le dirigeant de Scale. Pour se fournir, il passera dans un premier temps par les mareyeurs de Bretagne de la sardine et du saumon, deux espèces aux forts volumes et soumises à des procédés industriels d’écaillage mécanique. Avec cependant quelques contraintes : le transport vers le lieu de fabrication doit être rapide (les écailles étant une matière vivante qui se dégrade vite) et il faut tout de même une tonne d’écailles pour faire 35 m2 de matériaux.
Marianne Peyri
Image par Free-Photos de Pixabay