Depuis quelques jours, les effets de la crise sanitaire sur l’économie se font lourdement sentir. Les bourses mondiales ont accusé des baisses record, et lundi 16 mars au matin, la Bourse de Paris plongeait à moins de 3800 points, affectant tous les secteurs. Un niveau que le CAC n’avait plus atteint depuis début 2013. Les marchés paniquent et les principales banques centrales mondiales se précipitent pour prendre des mesures d’urgence, la FED en tête, afin d’injecter rapidement des liquidités.
Ces conséquences économiques pourraient bien avoir des effets de long terme et risquent de générer une nouvelle récession mondiale, douze ans après la crise des subprimes qui avait débouché deux ans plus tard sur celle de la dette souveraine – caractérisée par une explosion des dettes étatiques. Les mesures d’urgence indispensables prises par les gouvernements, associées aux stabilisateurs automatiques, creuseront nécessairement les déficits et la dette dans les mois à venir.
Les niveaux d’endettement des trois principaux acteurs du circuit économique (État, ménages, entreprises) étaient pourtant déjà très élevés, soutenus par une économie sous perfusion et des taux bas. Ces derniers étaient nourris par une politique monétaire macro-prudentielle – c’est-à-dire une politique normalement temporaire d’assouplissement monétaire qui vise à réactiver les canaux par lesquels elle intervient pour relancer l’économie – que la BCE et la FED ont initiée il y a des années pour éviter notamment une trappe à liquidité, c’est-à-dire une situation où la masse monétaire (le crédit) ne répondrait plus aux variations du taux d’intérêt (l’instrument principal de la Banque Centrale).
Ils laissaient déjà craindre un réajustement dangereux des marchés et de forts risques de crise mondiale bien avant l’épidémie du nouveau coronavirus. La correction déclenchée par ce choc exogène, par essence non prévisible, a été au-delà de toutes les craintes. Le ralentissement des services (tourisme, bars et restaurants depuis peu, etc.) s’est ajouté au ralentissement de la production industrielle généré par les effets dominos de l’épidémie en Chine, usine du monde et maillon indispensable des chaînes de valeurs.
Un plan de relance d’ampleur pour sauver l’économie française et européenne doit être mis en place très rapidement car la nature macroéconomique de la crise – offre et demande affectées simultanément – sera profonde et les experts se penchent déjà sur la question.
À court terme du moins, il sera nécessaire de renoncer à tout dogmatisme sur le creusement des déficits publics et de la dette, et de faire en sorte que les banques centrales et les gouvernements supportent, à n’importe quel prix, le système de santé et le lissage des revenus des agents économiques. Comme Keynes le disait, « à long terme, nous serons tous morts ». Mais en période de forte épidémie, nous le serons peut-être à court terme…
Pertes en capital humain
Au-delà de ces effets de court terme, que nous disent les travaux relatifs aux effets des épidémies sur l’économie à long terme ? Il semble que la littérature théorique sur la croissance économique commence à peine à comprendre le rôle joué par les maladies infectieuses, même si certains enseignements peuvent être tirés.
Le taux de croissance économique de long terme s’affaiblit tout d’abord sous l’effet d’une offre de travail réduite et d’une moindre accumulation du capital.
Il faut percevoir ces deux effets en interaction : une maladie dont la prévalence dans la population se réduit est le signe pour l’agent économique qu’il pourra travailler plus (puisqu’il sera moins malade), ce qui augmente dès lors le rendement associé à l’accumulation de capital humain, incitant l’agent économique à se former.
Comment les changements environnementaux font émerger de nouvelles maladies https://t.co/wYfe9t6cEC pic.twitter.com/7FKl2eV3Ne
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Or le capital humain constitue précisément un facteur majeur de croissance économique à long terme. Nonobstant le calcul rationnel, cette relation négative entre la prévalence de la maladie infectieuse et l’accumulation du capital humain est susceptible de se retrouver avec la pandémie de Covid-19 : la mise en place du confinement affecte directement notre système éducatif, qui doit s’organiser pour assurer la continuité de l’enseignement.
Malgré tous les efforts qui seront déployés pour maintenir les activités pédagogiques, le Covid-19 impactera lourdement la fin d’année scolaire qui s’annonce et la transmission des connaissances. Une installation durable de cette pandémie tendra à réduire la croissance économique en réduisant l’accumulation du capital humain.
Le rôle de la pollution
Ensuite, tout porte à croire que les rejets polluants issus de nos activités de production de biens et services augmentent la prévalence des maladies infectieuses en agressant le système immunitaire des agents économiques. Cette relation est connue depuis longtemps des épidémiologistes.
En la replaçant dans le contexte économique, une relation cyclique émerge. Une augmentation de la production de biens et services provoquera une hausse de la pollution aérienne, laquelle agresse le système immunitaire des agents économiques.
Cette agression les rend plus vulnérables et la prévalence des maladies infectieuses progresse, réduisant ainsi l’offre de travail dans l’économie, soit pour cause de maladie, soit à la suite de la mise en place d’un confinement. La production de biens et services se contracte et les rejets polluants se réduisent. Une augmentation de la pollution (par la production) participe à l’émergence de maladies infectieuses, qui génèrent une baisse de la pollution (car de la production), et ainsi de suite.
Cette relation d’abord soulignée par la littérature théorique récente apparaît désormais manifeste avec le Covid-19, comme en témoignent les impressionnantes baisses de dioxyde d’azote dans le ciel chinois relevées récemment par la NASA.
En somme, nous pouvons penser que le Covid-19 aura vraisemblablement un triple effet sur l’économie, en réduisant l’offre de travail ainsi que l’accumulation du capital, et en générant l’apparition d’un cycle endogène liant l’activité économique, la pollution et la prévalence de la maladie dans la population.
Climat, épidémies et économie mondialisée
La crise globale à laquelle nous devons faire face n’est pas inédite. On avait tendance à l’avoir oublié du fait des progrès sanitaires et sociaux réalisés depuis deux siècles et la révolution industrielle.
Malgré l’accélération de la mondialisation, les progrès de la médecine et des hommes ont permis de réduire l’occurrence et les dégâts de pandémies, au moins et ne l’oublions pas, pour les pays développés. Néanmoins, notre délai de réaction face au changement climatique et à la pollution croissante, de même que l’accélération de la mondialisation depuis les années 1970-1980 dans tous les domaines, ont rendu nos sociétés plus dépendantes par rapport aux ressources et plus vulnérables entre elles.
Des risques de crise globale – économique, sociale et sanitaire à la fois – connus sous l’ère préindustrielle comme au 17e siècle pourraient refaire surface. Ces crises globales auraient été initiées par de fortes variations climatiques dû au refroidissement induit durant le « Little Ice Age ».
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Sous l’effet du changement climatique récent, la fonte du Permafrost (pergélisol en français) déclenchée par le réchauffement climatique a déjà libéré des virus parfois vieux de 30 000 ans.
Plus globalement, le changement climatique pourrait bien accélérer les épidémies déjà favorisées par les activités économiques et extractives : l’habitat des animaux porteurs (et premiers vecteurs) des épidémies est peu à peu restreint par la déforestation liée à l’agriculture et à l’urbanisation, ce qui est souvent à l’origine des épidémies récentes. Le moustique tigre arrive à se développer dans le Sud de la France et plus seulement dans les zones tropicales et le frelon asiatique occupe à présent 90 % du territoire français après avoir été importé en France par un botaniste. Les effets du changement climatique et de la mondialisation peuvent alors se combiner.
Au final, dans une économie mondialisée, le changement climatique peut nous fragiliser à la fois vis-à-vis de la nature et des épidémies.
Investir pour l’État providence et le climat
Pour réduire l’occurrence de nouveaux cycles combinés épidémie-croissance, un nouveau paradigme économique est indispensable.
Il doit être fondé sur une mondialisation raisonnée – avec une relocalisation de certaines industries indispensables (médicaments) –, un usage à long terme et respectueux des ressources naturelles en lien avec la lutte contre le changement climatique, et un investissement continu dans le bien public et l’État-providence (hôpitaux, écoles et universités, etc.). C’est là que nos gouvernants devront placer les objectifs des politiques structurelles futures, une fois les mesures conjoncturelles et l’urgence passées.
Alors que les professionnels de santé portent en ce moment la lourde responsabilité de la vie dans notre société, ne prenons pas le risque de voir réapparaître des épidémies plus virulentes encore dans le futur. Au prix de nouvelles « tragédies humaines », que nos systèmes de santé auront encore moins les moyens de supporter.
Olivier Damette, Professeur en sciences économiques, Université de Lorraine, BETA et associé Chaire Econonomie du Climat Paris Dauphine, Université de Lorraine et David Desmarchelier, Maître de conférences HDR en sciences économiques, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.