L’épidémie de coronavirus Covid-19 (anciennement dénommé 2019-nCoV) en cours en Chine met à rude épreuve le système de santé de la République populaire.
En 2003 déjà, un autre coronavirus, celui du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), faisait prendre conscience aux dirigeants chinois que la « réforme et ouverture » économique enclenchée par Deng Xiaoping en 1978, après la mort de Mao, n’avait pas amélioré l’accès aux soins.
Au contraire, en même temps qu’elle permettait une croissance économique à deux chiffres, accompagnant un important développement commercial et technologique, ladite ouverture économique détricotait la couverture sociale de la population.
Depuis l’épisode du SRAS, les autorités sanitaires chinoises ont mis en place une série de réformes visant à restaurer un accès au soin décent pour les citoyens, en particulier dans les zones rurales. Seront-elles suffisantes pour faire face à cette nouvelle épidémie ?
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Les « médecins aux pieds nus »
En août 1950, l’année suivant l’arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois, la première conférence nationale sur la santé a permis de poser les bases de la politique nationale à ce sujet. Il s’agit alors d’appliquer les ambitions du Parti, libération du peuple et mise en place du collectivisme en Chine, à l’ensemble des secteurs de la société.
Un système d’assurance santé à trois niveaux est alors instauré. L’un de ces niveaux, le « système de médecine rural coopérative », permet de déployer un système de santé dans les milieux défavorisés ruraux qui en étaient jusqu’alors dépourvu. Il s’agit d’une médecine financée par fonds commun reposant sur une organisation collectiviste : en fermes, en brigade de village ou encore en communauté régionale.
Les soins sont fournis aux membres des différentes collectivités par des hôpitaux aux échelles correspondantes : postes de soins, centres de santé communautaires ou hôpitaux de « comté », le tout formant un réseau rural de soins. Celui-ci repose alors sur la création d’un corps de « médecins aux pieds nus ». Formés de manière succincte, en quelques mois, leur fonction est de mailler le réseau de santé rural.
Il est estimé qu’au milieu des années 1970, plus de 90 % de la population rurale bénéficiait de ce système de santé. Il atteint alors nombre de ses objectifs, éradiquant certains fléaux endémiques de l’époque, permettant des campagnes de vaccination de grande échelle, et favorisant les soins préventifs et l’hygiène. L’espérance de vie, inférieure à 40 ans au début des années 50, est évaluée à 68 ans en 1981.
Une décentralisation génératrice d’inégalités
Les choses changent avec l’arrivée de Deng Xiaoping au pouvoir en 1978, et le début des réformes économiques. La Chine passe alors d’un modèle d’économie planifiée à ce qui sera qualifié a posteriori d’« économie sociale de marché ».
Décentralisation des politiques de santé au niveau provincial et désinvestissement des pouvoirs publics dans les établissements de soins sont enclenchés. Le marché des produits pharmaceutiques est libéralisé et les hôpitaux privés se multiplient. Cette approche décentralisée a fortement façonné le paysage du système de soin en Chine, créant de fait des inégalités entre provinces riches et pauvres, mais également une certaine adaptabilité aux conditions locales.
Il ne s’agit plus, alors, de proposer à l’ensemble de la population une équité absolue, objectif utopique sur un territoire aussi vaste et hétérogène, mais de permettre de répondre de manière plus pertinente à des défis de natures différentes. Par exemple les prix des actes de soins réalisés au sein des établissements hospitaliers sont décidés au niveau de chaque province par le bureau des prix de la province.
Ce fonctionnement permet un ajustement en fonction du niveau de développement économique et de la richesse des populations de provinces différentes.
Un système en crise budgétaire
La fin de l’économie collectivisée chinoise a cependant eu des conséquences délétères. La remise à plat du système d’assurance santé universel chinois a fait disparaître le niveau de médecine rurale coopérative, qui garantissait un accès aux soins à la population rurale.
Les établissements hospitaliers ont désormais été incités à se financer auprès de leurs patients, dont les niveaux de couverture santé ont par ailleurs diminué… Cette situation ne pouvait que déboucher sur une période de crise budgétaire.
La population rurale couverte par l’assurance santé qui leur était dédiée serait passée de plus de 90 % en 1970 à environ 5 % en 1985. La prise en charge du coût de leurs soins par les patients est quant à elle passée de 20 % du coût du soin en 1978 à 60 % en 2000.
Un système malade, ébranlé par le SRAS
En 2003, lorsque s’est déclarée l’épidémie de SRAS, ces dysfonctionnements ont été révélés au grand jour, en particulier la faible capacité des infrastructures des régions rurales à faire face à de telles urgences.
Devant les risques nouvellement perçus, Pékin a réagi en remettant la politique de santé parmi les éléments centraux de son agenda. Cela s’est traduit par une augmentation de l’investissement financier de l’État dans le développement des établissements publics de santé.
Au début des années 2000, après avoir laissé pendant près de 20 ans la situation dériver, le gouvernement chinois a réagit par une série de mesure visant à rectifier les dérives apparues à la fin du XXe siècle, puis à transformer le système de santé chinois en un système digne d’un pays développé, en parallèle de l’essor économique du pays. En 2003, une réforme a par exemple instauré un financement reposant pour deux tiers sur les autorités gouvernementales et locales, et pour le tiers restant sur l’assuré. Destiné à la population rurale, ce système est basé sur une adhésion et une cotisation volontaire.
Sur la période 2000-2012, ces réformes ont permis à la Chine de mettre en place la plus importante réduction des dépenses prises en charge par le patient de toute la zone Asie-Pacifique. Selon les chiffres de l’OMS, en 2011 la couverture de la population atteignait à nouveau 95,7 % pour les dépenses médicales basiques, les dépenses prises en charge par le patient ne représentant alors plus que 34,3 % du montant total. L’OMS a montré la Chine en exemple pour l’efficience de ses réformes.
Le baptême du feu du Covid-19
Ces développements et réformes sont encore en cours à l’heure actuelle. Le gouvernement central chinois opère par expérimentation, sur un territoire ou sur un échantillon d’établissements conséquents, ce qui est permis par l’échelle du pays. Ces expérimentations sont inscrites au sein de stratégies à long terme : des plans santé sont établis avec un horizon de 10 ans. Ils sont régulièrement révisés afin de promouvoir cette modernisation.
La survenue, en décembre, d’un nouveau coronavirus, 16 ans après celui qui avait provoqué l’épidémie de SRAS, constitue un test d’ampleur pour le système de santé chinois.
Il est encore trop tôt pour faire un bilan de sa capacité à affronter la crise du Covid-19, mais on peut affirmer sans trop s’avancer que peu de pays auraient été capable de fournir les efforts considérables déployés par la Chine pour endiguer cette nouvelle épidémie : fermeture des entreprises et des services publics non nécessaires, mise en quarantaine de villes de plusieurs millions d’habitants, filtrage très strict des déplacements de la population, assignation à résidence ou dans des centres spéciaux des personnes ayant pu être en contact avec des personnes contaminées, relevé de température quotidienne de la population…
Ces mesures, de la plus radicale à la plus légère, montrent l’ampleur de la capacité de réaction du pays face à une crise sanitaire d’ampleur. Il est encore trop tôt pour évaluer leur efficacité, cependant le Covid-19 semble avoir un taux de contagion élevé. Si ces mesures n’avaient pas été prises, la situation aurait peut-être été plus grave.
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Un changement de doctrine depuis 2003
La Chine avait été fortement critiquée lors du SRAS pour sa tentative de dissimulation de l’ampleur de la crise. Aujourd’hui, bien que certains chiffres soient remis en questions et que des doutes subsistent sur la rapidité initiale de la réaction, il semble que la collaboration avec la communauté internationale est réelle. Il s’agit là d’un changement de doctrine notable.
Il est indispensable de se rendre compte du chemin parcouru durant ces quarante ans qui nous séparent de la « réforme et ouverture » économique de Deng Xiaoping. Cette dernière, encensée par le monde entier, avait mis à mal le système de santé chinois. Elle a cependant aussi permis à la Chine de bénéficier de collaborations avec les pays occidentaux, dont elle a pu observer les échecs et succès afin de se construire et d’atteindre un niveau de modernité de premier rang.
Aujourd’hui que la Chine est en passe de devenir le leader économique mondial. Le reste du monde gagnerait peut-être à s’intéresser au système de santé chinois, à étudier les réformes qui l’ont mis en place, sa décentralisation, ses forces et ses faiblesses. Surtout s’il passe l’épreuve du feu de ce nouveau coronavirus.
Nicolas Petit, Professeur assistant, Kedge Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image de couverture par Silas Camargo Silão de Pixabay