3 QUESTIONS A Stéphanie Debette, neurologue et épidémiologiste à l’Inserm. Elle explique à Curieux l’importance de la génétique pour connaître et anticiper les maladies. Co-dirigeant l’équipe « Épidémiologie moléculaire des troubles vasculaires et cérébraux » elle étudie en particulier la maladie des petits vaisseaux cérébraux à l’origine d’AVC et de démence. 1 personne sur 3 est concernée. Explications
1 – A quoi sert l’épidémiologie génétique pour la médecine ?
L’épidémiologie génétique sert à comprendre les facteurs de risques génétiques des maladies communes. On sait maintenant que l’immense majorité des maladies sont d’origine multifactorielle : des facteurs de risques à la fois environnementaux liés à notre style de vie mais également des facteurs multiples génétiques qui contribuent à la survenue de la maladie.
C’est le cas pour quasiment toutes les maladies y compris les maladies infectieuses. On l’a vu avec la Covid-19 où tout le monde ne réagissait pas de la même manière. L’épidémiologie génétique permet d’identifier ces multiples facteurs de risques génétiques qui contribuent à la survenue des maladies dont les maladies neurologiques. Et notamment la maladie des petits vaisseaux cérébraux.
Certaines maladies ont une plus forte contribution génétique que d’autres. Nous avons 99,9% de notre ADN qui est commun entre les différents individus mais on a 0,1% de notre code ADN qui varie d’un individu à l’autre. Ce sont ces petites variations très importantes que l’on étudie.
Cette étude permet de pouvoir identifier de nouvelle cibles thérapeutiques. En connaissant la somme des facteurs génétiques d’une maladie, on peut identifier par une simple prise de sang à tout âge des personnes qui pourraient être, par leur patrimoine génétique particulier, à risque de développer une maladie. Cela peut être intéressant quand il existe des approches préventives qui pourraient être mises en place précocement.
2 – Qui est concerné par l’altération des capacités cérébrales ?
Il faut savoir qu’une personne sur trois va développer au cours de sa vie un AVC et/ou une démence. Ces maladies neurologiques sont le résultat d’un processus pathologique qui va se développer sur plusieurs années voire plusieurs décennies. On va donc parfois pouvoir observer des altérations plus subtiles de la fonction du cerveau. Cela peut se traduire par des troubles de la mémoire, des troubles de l’attention qui vont croissants. Cela peut aussi se traduire par l’identification en imagerie du cerveau de modifications du parenchyme cérébral avec la présence de lésions silencieuses (ou occultes). Elles sont secondaires à une maladie des petits vaisseaux cérébraux.
En effet, les AVC sont bien entendu de nature vasculaire mais la démence est aussi le résultat de processus neurodégénératifs de type Alzheimer et vasculaire conjointement. Identifier un vieillissement des petits vaisseaux cérébraux et leurs conséquences précoces silencieuses sur le cerveau peut être très intéressant. Cela peut permettre de cibler des populations à risque plus élevées d’évoluer vers un AVC ou une démence. Et ce avec des approches préventives plus intensifiées.
Dans le monde, il y a 100 millions de personnes touchées par un AVC et 50 millions par une démence. Et ce chiffre va tripler d’ici 2050 avec le vieillissement de la population. On estime qu’environ 400 millions de personnes sont touchées par ces lésions silencieuses des petits vaisseaux cérébraux.
3 – Quel parcours vous a amené à devenir neurologue et épidémiologiste à l’Inserm ?
J’étais passionnée par le fonctionnement du cerveau qui comportait encore plusieurs mystères à élucider. Et j’ai choisi comme spécialité, la neurologie, où il m’a semblé qu’il y avait encore beaucoup de de nécessité de mener de la recherche mais aussi des découvertes à réaliser sur le plan thérapeutique. Pendant mon internat, j’ai eu l’occasion de suivre une formation en épidémiologie et de réaliser une thèse dans une unité Inserm.
J’ai poursuivi ma spécialité en épidémiologie génétique à l’occasion d’un post-doctorat de 2 ans à Boston où j’ai travaillé avec la première grande cohorte en population générale (Framingham).
Il n’y a aucune raison que des jeunes filles arrivent moins bien à mener des parcours scientifiques que les jeunes hommes ! Il faut gagner en confiance et cela ouvre un champ de possibilités absolument infini. Cela offre des opportunités professionnelles qui peuvent être extrêmement épanouissantes.
Propos recueillis par Alexandre Marsat
Avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
Stéphanie Debette a remporté le Grand Prix Inserm 2024 et vient d’être nommée à la tête de l’Institut du Cerveau. Professeure d’épidémiologie et de santé publique à l’Université de Bordeaux et neurologue au CHU de Bordeaux, elle a dirigé jusqu’en avril 2024 le centre de recherche Bordeaux Population Health (Université de Bordeaux, Inserm, l’IHU VBHI).