3 QUESTIONS A Frédéric Laurent, Professeur des Universités INSERM. Coordonnateur du projet PHAG-ONE, il identifie des virus, appelés bactériophages, capables de s’attaquer spécifiquement aux bactéries devenues résistantes aux antibiotiques. Explications
1 – Quels sont les risques de l’antibiorésistance ?
L’antibiorésistance, c’est le fait que des bactéries peuvent devenir résistantes à certaines familles d’antibiotiques. Et au-delà de l’antibiorésistance, il y a ce qu’on appelle la multirésistance. C’est quand ces mêmes bactéries deviennent résistantes à beaucoup voire à toutes ces familles.
Quand on fait face à de l’antibiorésistance chez une bactérie pathogène qui infecte un patient, cela limite le choix des antibiotiques utilisables. On doit alors faire appel à des antibiotiques parfois moins efficaces et souvent moins faciles à utiliser.
Et la multirésistance conduit, elle, parfois à des impasses thérapeutiques : on n’a plus d’antibiotiques utilisables et efficaces pour traiter un patient.
2 – Comment pouvons-nous résoudre ce problème ?
Résoudre ce problème, c’est d’abord tout faire pour ne pas le créer. Il faut donc mieux utiliser les antibiotiques, les utiliser à bon escient, à la bonne dose et pendant la bonne durée. L’objectif est de ne pas favoriser l’émergence des bactéries qui sont résistantes aux antibiotiques.
Ensuite quand on a un patient qui a une bactérie déjà résistante ou multirésistante, nous devons trouver de nouveaux traitements antibactériens. Notre équipe INSERM travaille sur l’une de ces alternatives potentielles : l’utilisation de virus particuliers. On connaît bien les virus qui affectent l’homme comme la grippe ou la COVID-19 qui attaquent nos cellules. Il y a aussi des virus qui ciblent les bactéries.
L’idée c’est que ces virus, que l’on appelle des « bactériophages » ou « phages », s’attaquent uniquement aux bactéries et les détruisent sans effet sur les cellules humaines. Donc, en les injectant chez nos patients, on peut espérer qu’ils tuent et éliminent les bactéries pathogènes chez nos patients et donc qu’ils guérissent de leur infection bactérienne. Une fois que les bactéries ont disparu, ces virus sont éliminés naturellement par l’organisme.
3 – Comment pouvez-vous produire ces bactériophages et les utiliser ?
Ils sont présents partout dans l’environnement notamment dans l’eau. Dans un verre d’eau, il y a des milliards de phages qui sont invisibles et sans danger.
Nous travaillons sur les eaux usées de stations d’épuration et dans cette eau il y a beaucoup de bactériophages de familles différentes qui sont actives sur énormément d’espèces de bactéries différentes. On isole donc dans les eaux usées uniquement les virus qui attaquent les bactéries pathogènes résistantes aux antibiotiques que l’on retrouve chez nos patients.
Dans le cadre du projet PHAG-ONE, on s’intéresse aux phages actifs contre staphylocoques dorés, Escherichia coli et Pseudomonas aeruginosa. Ces bactéries font partie des priorités de l’OMS parce qu’elles peuvent devenir très résistantes aux antibiotiques.
Une fois que l’on a isolé ces bactériophages, on les caractérise notamment au niveau génétique. Ensuite, parmi tous les phages trouvés, on va sélectionner ceux qui ont l’activité la plus large. Ainsi, si on les produit, on va pouvoir traiter avec le même phage non pas un seul patient mais de nombreux patients, qui ont chacun une souche bactérienne différente,
Puis on va les produire en grande quantité et les purifier selon des procédés pharmaceutiques pour garantir la sécurité de ce médicament fabriqué à l’hôpital.
Dans le cadre du projet PHAG-ONE porté par l’INSERM et financé par France 2030, c’est une production publique qui est envisagée pour ce médicament. Cette production de phages répond à un cadre réglementaire très strict comme l’industrie pharmaceutique classique sous la surveillance de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
L’objectif est de créer un établissement public des phages thérapeutiques qui produirait des phages thérapeutiques pour les patients de toute la France comme l’Etablissement Français du Sang (EFS) qui produit des dérivés sanguins pour la communauté médicale.
Propos recueillis par Alexandre Marsat
Avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.