Le roi des forêts est la star de Noël. Origine (contrôlée ou non), essence, prix, naturel ou artificiel, labellisé, il y en a pour tous les goûts. Néanmoins, il impose une logistique toute de précision et de coordination : livrer un arbre qui pousse sur plusieurs années, en moins d’un mois et dans toute la France, et ce sans père Noël.
Les sapins et leurs décorations de Noël trouvent leurs racines dans la culture germanique. Diffusés dans le monde entier au cours du XIXe siècle, ils sont devenus l’un des symboles de Noël comme l’a montré David Bertaina.
À l’Antiquité, les Celtes y voyaient un symbole du solstice d’hiver. Au Moyen Âge, en Alsace comme en Bavière, les guildes s’en dotaient pour rassembler leurs membres lors de fêtes autour du sapin. De la même manière, l’Église l’adoptait lors de ses célébrations liturgiques. Peu à peu, le sapin est domestiqué, passant de l’espace public à l’espace privé du foyer, devenant l’arbre de Noël par excellence. L’industrialisation le fait entrer dans l’ère de la production et de la consommation de masse. Aujourd’hui, l’écologie, les appellations d’origine et la fin du plastique modifient notre rapport au sapin. L’arbre conique devient iconique d’une civilisation capitaliste mondialisée, dont la sève est la logistique.
1/5 e des foyers français équipés d’un sapin
En France, environ 6 millions de sapins naturels sont achetés chaque année. Un cinquième des foyers français s’équipe d’un sapin pour Noël, et ce principalement dans les foyers qui comptent des enfants. Ce marché représente 200 millions d’euros. Comparativement, le sapin artificiel représente peu d’achats, car son intérêt réside moins dans son prix élevé que dans sa réutilisation. https://www.youtube.com/embed/vJR7I3vvwMw?wmode=transparent&start=0
À chaque conifère son origine et son label. Le Nordmann, originaire du Caucase supplante doucement l’Epicéa originaire d’Europe septentrionale, qui avait pourtant conquis l’ensemble des foyers européens et nord-américains. En France en 2023, le Nordmann représente 78 % du marché en volume et 83 % en valeur. Au-delà de l’espèce sélectionnée et cultivée, des labels comme l’IGP (Indication Geographique Protégée) ou le Label Rouge fleurissent pour garantir la qualité des sapins, leur sourcing et leur durabilité. Ils garantissent un sapin plus frais, car coupés tardivement à la fin novembre ; leurs épines sont ainsi préservées jusqu’aux fêtes.
Face à cette tendance, certaines espèces moins précieuses sont vendues à des prix attractifs aux consommateurs modestes par les enseignes de grande distribution. Ces sapins servent de produit d’appels, sur la base de bons qui couvrent la quasi-totalité de leur coût d’achat. Moins labellisés, mais plus abordables.
De la forêt au foyer
Avec la saisonnalité de sa culture et de ses ventes, le sapin met en lumière les rouages de la logistique moderne.
Le temps de culture du conifère est long : entre 5 et 15 ans. Par exemple, le Nordmann atteint la taille idéale en 12 ans. Logiquement, les producteurs cherchent à le raccourcir en choisissant des espèces ou des tailles d’arbres qui poussent plus ou moins rapidement. L’important étant de conserver un canon esthétique : port pyramidal, verticilles rapprochés, aiguilles serrées et colorées.
Tout au long de la chaîne logistique, des services à valeur ajoutée sont mis en place. En amont, le traitement avec un perce-pied permet de créer un trou standard servant à fixer le sapin sur un support réutilisable, l’hydratant et de facto prolongeant sa durée de vie. Pour conserver les aiguilles plus longtemps et les fixer, les professionnels glacent certains conifères avec une mousse décorative blanche, rouge, dorée, voire bleue. Enfin, en aval, les sapins sont mis en filet sur des palettes hors gabarit. Cette palette dite « danoise » (10 par camion) est devenue l’unité de commande du secteur.
Saisonnalité du sapin
Dans le même temps, la saison du sapin de Noël est très restreinte. Les sapins doivent être coupés, préparés et livrés au début du mois de décembre dans les enseignes de distribution. Un producteur comme le pépiniériste Robin expédie 45 semi-remorques chaque semaine pendant un mois. Cette activité de livraison annuelle concentrée sur un laps de temps court requiert la gestion d’une flotte de camions en propre et affrétée, ainsi que le recours à une main-d’œuvre saisonnière qualifiée.
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Alors que les Français avaient tendance à acquérir leurs sapins juste avant Noël et le garder jusqu’à l’Épiphanie, ils se calent désormais sur les pratiques nord-américaines et germaniques. Acquisition au début de l’Avent et recyclage après le 25 décembre. Ce changement d’habitude correspond à une uniformisation mondiale des pratiques de consommation, mais aussi à des facteurs pratiques. En fin de cycle, la majorité des communes organise des collectes de sapins pour recyclage ; une tonne de sapins permettant de produire 300 à 400 kg de compost.
Cette logistique complexe est concentrée dans le temps et influe sur les délais d’enlèvement. En effet, il n’est plus question de garder son sapin jusqu’à l’Épiphanie, au risque de l’avoir sous le bras pour prendre le métro et trouver une déchetterie. De là à dire que la logistique influence désormais Noël…
Alexandre Lavissière, Professeur de Logistique, CESIT – Centre d’Excellence Supply Chain, Kedge Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.