Après avoir longtemps été ignoré par les tenants de la croissance infinie, le problème de la surpopulation refait surface. Il semble que nous sommes trop nombreux. Même s’il faut apporter des nuances : trop nombreux, mais pourquoi ?
Dix mille hominidés environ il y a 100 000 ans, un milliard d’êtres humains en 1800 et désormais, 8 milliards. Et ce n’est pas terminé : on devrait passer la barre des 10 milliards plus ou moins après 2050. Même si cette croissance ralentit. Mais pour les démographes, même en freinant considérablement la natalité, la dizaine de milliards sera inexorablement atteinte du fait de l’inertie du développement.
La population mondiale actuelle est jeune et même si elle fait moins d’enfants que les précédentes, elle contribuera de manière significative à cette augmentation. De fait, l’ONU a créé trois scenarii possibles en 2015. Le plus bas table sur 7 milliards en 2100, le médian sur 11 milliards et le plus haut sur 16,5 milliards.
La surpopulation, aussi vieille que l’Humanité
Alors certes, le thème de la surpopulation ingérable est vieux comme l’humanité. Les mythes antiques des déluges trouvent tous comme origine le trop grand nombre d’être humains qui font n’importe quoi avec la création divine (déjà!). En 200 après J.-C., Tertullien faisait de l’Humanité un fardeau pour la Terre alors qu’elle atteignait au maximum les 250 millions d’individus. Mais le plus célèbre fut Malthus qui, en 1798, estimait que la sexualité débridée de l’humain assortie à la production maximale de l’agriculture conduirait rapidement à des famines dévastatrices.
Depuis, l’approche de la surpopulation s’est centrée sur l’une de ces deux variables : soit contrôler l’accroissement la population, soit améliorer les rendements agricoles. Et clairement, depuis deux siècles, c’est cette dernière approche qui est privilégiée. Avec succès, d’un strict point de vue comptable. L’homme a besoin de l’équivalent de 200 kg de céréales pour an pour subvenir à ses besoins alors que la production actuelle est de 330 kg. Les famines sont essentiellement dues à une mauvaise répartition des richesses plus qu’à un problème de production agricole.
Assez à manger mais pas assez de place
Reste à savoir à quel prix on obtient cette suffisance alimentaire. Même s’il ne fait plus guère de doute aujourd’hui qu’une agriculture saine pourrait produire suffisamment et qu’il n’est plus obligé de passer une agriculture intensive et industrielle, il n’en reste pas moins que, selon la FAO, 38% des terres sont actuellement consacrées à la production de nourriture (de manière directe ou indirecte). C’est autant de surface qui n’est plus accessible à la biodiversité et à la vie sauvage. Selon une étude de 2018, l’homme (et le bétail élevé pour sa consommation ou son plaisir) représente 96% de la masse totale des mammifères terrestres. Il reste peu de place pour les animaux sauvages…
Pour beaucoup, comme Gilles Pison, démographe et professeur au Muséum national d’histoire naturelle et chercheur associé à l’INED, la question n’est pas tant celle de la quantité d’êtres humains que celle de leur mode de vie. Un habitant d’un état riche du Golfe persique avec une faible densité de population produit autant de CO₂ que 325 Somaliens. Et c’est une constante que l’on observe depuis les années 1960 : plus les pays accèdent à la richesse, moins ils font d’enfants… mais plus ils polluent par individu. Nous sommes donc dans un cercle vicieux où l’on ne sort d’une forte démographie qu’en accédant au modèle occidental polluant.
Le Japon, la décroissance heureuse ?
Pour beaucoup de démographes, occidentaux surtout, la crainte principale reste une diminution de la démographie qui mettrait en péril notre modèle économique. Mais l’exemple du Japon vient battre en brèche cette croyance : le pays est le premier au monde à être passé en dessous du seuil de remplacement de sa population (depuis 1974) et ne compense pas pour autant par une immigration importante. En investissant dans sa population, sa formation, son bien-être, il est parvenu à garder un niveau de vie toujours satisfaisant même s’il n’a plus son ancienne puissance. Ce pourrait être la solution : moins d’humains mais mieux.
Jean Luc Eluard
Avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation