3 QUESTION A. Les personnes les plus exposées aux particules fines de la pollution de l’air ont plus de risque d’avoir des maladies oculaires. Et notamment le glaucome, première cause de cécité irréversible dans le monde. Cécile Delcourt, directrice de recherche Inserm/Université de Bordeaux nous explique la relation entre pollution et maladies oculaires
1- La pollution de l’air a-t-elle un effet sur les yeux ?
Cécile Delcourt : Nous avons, au niveau mondial, une quinzaine d’études récentes qui ont étudié les effets potentiels de la pollution de l’air sur les maladies oculaires. Elles sont globalement très concordantes pour montrer un surrisque de maladies oculaires chez les personnes les plus exposées à la pollution de l’air. Et ce notamment en ce qui concerne le risque de glaucome, de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) et de cataracte.
Ces associations sont particulièrement fortes avec l’exposition aux particules fines, les particules en suspension dans l’air qui ont un très petit diamètre inférieur à 2,5 microns. Elles peuvent pénétrer très profondément dans l’organisme. Et donc entrer dans la circulation sanguine et rejoindre ainsi l’œil, et notamment la rétine qui est un tissu particulièrement vascularisé. La rétine est alors particulièrement exposée aux particules fines présentes dans la circulation sanguine.
Au niveau français, nous avons publié des résultats dans notre étude de cohorte bordelaise Aliénor. Elle porte sur environ 1000 résidents de la métropole bordelaise. Nous avons montré qu’à l’intérieur de la métropole bordelaise, les personnes les plus exposées à la pollution de l’air avaient une accélération de la perte des fibres nerveuses de la rétine. C’est une caractéristique du glaucome.
Nous avons aussi démontré un surrisque de cataracte pour les personnes exposées à cette pollution de l’air.
2- Qui sont les personnes les plus exposées à ce risque ?
Cécile Delcourt : Cette pollution de l’air provient de plusieurs sources. La principale, surtout quand on habite en ville, c’est le trafic routier. Les personnes très exposées sont les personnes qui vivent une grande partie de leur journée près d’axes routiers importants ou embouteillés.
Il y a aussi des sources industrielles : si on vit dans près d’usines qui rejettent de la pollution dans l’air. Il faut aussi citer les sources de pollution intérieure. Les modes de cuisson, en particulier la cuisson au gaz, exposent à plus de pollution par le dioxyde d’azote. Il y a aussi les modes de chauffage comme la cheminée.
Cette pollution de l’air représente un surrisque d’avoir un glaucome ou une maladie oculaire.
3- Quelles sont les conséquences du glaucome ? Cela peut-il concerner tous les âges ?
Cécile Delcourt : Le glaucome est un groupe de maladies neurologiques qui atteignent le nerf optique. Il en existe diverses formes. Il y a des maladies congénitales qui vont donc atteindre les enfants. Certaines formes de glaucome vont toucher des adultes jeunes. Mais les formes les plus fréquentes sont plutôt des formes qui commencent à partir de 40 ans et qui vont devenir plus fréquentes à partir de 60 ans.
Le glaucome est une atteinte du nerf optique avec une perte des cellules nerveuses. C’est une maladie progressive et on ne sait ni l’arrêter ni la guérir. En revanche, on peut ralentir sa progression avec certains traitements.
Au fur et à mesure que l’on perd ces cellules nerveuses du nerf optique, on va perdre des parties de notre champ de vision. Au début, ce sont des sortes de petites tâches dont on se rend pas forcément compte parce que l’autre œil peut compenser.
Puis ces tâches vont s’élargir et remplir le champ de vision. Dans les formes très graves de glaucome, on va aboutir à une vision dans une petite zone centrale. Ce qui explique qu’avec le glaucome, on peut souvent conserver pendant très longtemps ses capacités de lecture ou reconnaître des visages. Par contre, on va perdre tout ce qui est vision périphérique. C’est particulièrement gênant pour la conduite.
On est rapidement malvoyant avec le glaucome. On peut devenir aveugle dans les formes graves même si c’est rare dans les pays occidentaux car on peut avoir des soins. C’est la première cause de cécité irréversible dans le monde.
Propos recueillis par Alexandre Marsat
Cécile Delcourt, directrice de recherche Inserm, dirige le groupe de recherche LEHA (Lifelong Exposures, Health and Aging) au sein du Centre de recherche en santé des populations U1219 (Bordeaux Population Health, Inserm/Université de Bordeaux).
Elle est l’une des auteures de l’étude publiée dans la revue Environmental Research. « Association of long-term exposure to ambient air pollution with retinal neurodegeneration: the prospective Alienor study ».
Ce projet de recherche s’inscrit dans le cadre de la labellisation Science avec et pour la société de l’université de Bordeaux.
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