De plus en plus d’adolescents, notamment les filles, recourent à l’automutilation. Un comportement plein de paradoxes et souvent difficile à comprendre pour l’entourage
Les taux progressent de façon « brutale et inédite », selon une étude de mai 2024, de la Drees et Santé Publique France. Le nombre de jeunes filles de 10 à 19 ans hospitalisées pour automutilation, qui a doublé entre 2012 et 2020, a de nouveau doublé mais en 2 ans, entre 2020 et 2022. Une détresse psychologique plus forte comme l’influence des réseaux sociaux qui diffusent des pratiques comme la scarification seraient des pistes d’explication.
Ce sont en effet bien souvent les adolescents, avec un pic à 15 ans, qui s’auto-agressent en se scarifiant. Ils se blessent volontairement en réalisant des incisions sur la peau à l’aide de ciseaux, compas, bouts de verre, lames de rasoir. Comme l’indique l’étude de la Drees, ces comportements sont plus fréquents chez les filles qui « intériorisent » davantage leur détresse psychologique, à l’inverse des garçons qui, pour l’exprimer, « l’externalisent plus souvent par des comportements violents, à risque ou addictifs« .
Évacuer une tension interne, se libérer de sentiments négatifs
Les causes sont multiples comme le liste une étude réalisée par des chercheurs en santé mentale de la Trent University de Nottingham (2017) : traumatismes ou abus, perte ou séparation d’un de ses proches, relations familiales difficiles, pression aux examens, etc.
Mais pourquoi certains recourent-ils à la scarification pour gérer ces émotions négatives ? « L’automutilation les aide à faire face à une détresse écrasante », expliquent les universitaires de Nottingham. Dans l’impossibilité d’exprimer sa souffrance par des mots ou d’autres moyens, le jeune qui s’auto-agresse cherche à évacuer une tension interne, à s’en distraire ou à l’étouffer, à se libérer de sentiments tels que la colère, la culpabilité ou le stress. Dans ces cas de détresse, la douleur physique serait plus facile à supporter que la douleur émotionnelle. Elle serait aussi un moyen, pour certains, de reprendre le contrôle.
Se sentir exister et paradoxalement survivre
Même si ces scarifications sont bien souvent réalisées en secret, elles génèrent des blessures visibles qui peuvent être aussi une façon d’attirer l’attention des autres. Ce comportement de ce fait joue sur un paradoxal montré-caché. La découverte de ces blessures par l’entourage permet en effet d’enclencher une prise en charge mais cette explication d’un appel à l’aide serait à relativiser.
Une recherche réalisée au Royaume-Uni en 2021 à partir d’entretiens d’adolescentes, fait surtout ressortir un besoin de « réprimer des pensées pénibles et de s’auto-punir », « d’étouffer l’angoisse mentale en se concentrant sur une douleur physique », « de rendre sa douleur visible » ou de lutter contre un sentiment de vide. En se coupant et en observant le sang coulait, certaines jeunes filles témoignent en effet d’un « besoin de se sentir exister, préférable à un état de néant. »
Certaines évoquent même le recours à la scarification comme un moyen de survivre. « Selon elles, s’automutiler n’est pas une façon de mourir, c’est une façon de continuer à vivre » et de réduire justement leurs pensées suicidaires. Un paradoxe pas toujours compris par l’entourage, qui ignore aussi souvent le caractère addictif de ces gestes d’automutilation, parfois transitoires mais qui peuvent aussi perdurer durant des années.
Des pulsions intrusives et un soulagement factice
Comparant la scarification à un trouble compulsif, les psychiatres et psychologues de l’étude anglaise réalisée en 2021 décrivent ainsi « une bataille interne entre des pulsions physiques et mentales intrusives incontrôlables, uniquement rassasiées par l’automutilation ». Un caractère répétitif de cette compulsion peut s’installer, avec des signes démontrés de symptômes de dépendance et une libération d’endorphines, les hormones du bien-être, lorsque le jeune se blesse pour se calmer. Un cercle vicieux et dangereux peut s’installer.
Or, si la scarification semble apporter un bref soulagement dans l’immédiat, celui-ci n’est que factice. Très vite, les sentiments négatifs et la détresse reviennent et l’adolescent ressent de nouveau le besoin de se faire du mal. Les différentes recherches démontrent en tout cas que la compréhension et des mots apaisants de l’entourage les aident à résister et lutter contre ce besoin d’automutilation. De même, le fait d’arriver à exprimer sa souffrance non plus en maux mais en mots, auprès d’un psychiatre ou psychologue, va aider à faire face à cette détresse écrasante.
Marianne Peyri