L’affaire a fait grand bruit : la Cour des Comptes a recommandé d’allonger le délai de carence en cas d’indemnisation des arrêts-maladie. Une idée purement comptable qui ne tient pas compte de la variable humaine. Ni de la réalité derrière les chiffres

« Délai de carence » ? Pour ceux qui ne sont pas familiers des arrêts maladies, le terme peut sonner étrangement. C’est tout simplement le délai pendant lequel une mesure ne s’applique pas. En matière de d’arrêt-maladie, pendant trois jours, l’Assurance Maladie ne verse rien au salarié. Ces trois jours non payés peuvent être pris en charge par l’entreprise (dans 61% des cas). Dans le reste des cas, souvent pour des emplois mal payés, ces trois jours sont à la charge du salarié. Et la Cour des Comptes estime qu’en faisant passer ce délai de 3 à 8 jours, la Sécu économiserait 470 millions d’euros.

Des arrêts maladies plus longs

Mais c’est plus compliqué que cela. Une étude de la Drees ( Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) montre en effet que « le délai de carence de trois jours conduit à accroître d’autant la durée totale des arrêts des salariés ». Autrement dit : plutôt que de se contenter de trois jours d’arrêt maladie qui ne seront pas payés, les médecins qui connaissent la situation sociale de leur patient en donnent davantage. Et ouvrent ainsi des droits aux indemnités journalières.

C’est exactement ce que concluait également l’INSEE en 2017. Son étude sur la fonction publique après l’application de la mesure en 2012 soulignait que cela n’avait pas fait baisser le nombre d’agents en arrêt-maladie. Mais aussi et surtout que si les absences de deux jours avaient diminué de moitié, celles d’une semaine à trois mois avaient augmenté d’un quart. Bref, en matière d’économies, passer de 3 à 8 jours ne soigne rien.

Travailler malade à défaut d’être indemnisé

Pire encore, l’effet à terme risque être l’inverse de celui annoncé. L’étude de la Drees met en lumière un « effet de présentéisme » chez les salariés mal couverts ou mal payés. Plutôt que de s’arrêter, ils se forcent à aller travailler en étant malades et aggravent ainsi leur état de santé, conduisant à des arrêts de travail plus long. Mis en lumière lors de la crise du Covid, la présence de salariés malades en entreprise peut également contaminer les gens qui ne l’auraient pas été sans cela.

Cette épidémie de « présentéisme » est confirmé par une étude de la mutuelle Malakoff-Humanis ( qui souligne qu’en 2019, 28% des arrêts-maladie n’étaient pas pris ou pas entièrement. Et que 47% de ceux qui ne s’étaient pas arrêtés le regrettaient a-posteriori. Et 65% des salariés ont travaillé en étant malades au cours des 12 derniers mois. Loin d’être anecdotique, cette tendance s’accroît : +9% entre 2016 et 2019. On est loin de l’image d’abus répétés.

De meilleures conditions de travail ?

En creux, ce rapport met en lumière une piste possible pour diminuer l’absentéisme au travail : rendre le travail moins pathogène. En effet, 13% des arrêts sont liés aux conditions de travail (épuisement, burn-out 28% ; troubles musculo-squelettiques 27%, accidents du travail 21%) et 19% supplémentaires à un mélange vie privée-vie professionnelle.

Ensuite, ce dérapage des indemnités journalières est surtout en trompe-l’œil. Dans son rapport « Charges et produits 2024 », l’Assurance maladie reconnaît une augmentation annuelle de 3,8% des indemnités journalières entre 2010 et 2022. Mais elle souligne que seuls 14% de cette hausse est due à l’augmentation du nombre des arrêts-maladie, notamment parce que 2022 a vu passer deux gros pics grippaux et les suites de la Covid-19. L’essentiel (36%) est à mettre sur le compte d’un accroissement de la population active et surtout au vieillissement de la population active, forcément plus souvent malade.

Avec le passage de l’âge de la retraite à 64 ans, les choses risquent se dégrader, délai de carence ou pas.

Jean Luc Eluard

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