Ah… le déclin de la France. Déjà, Victor Hugo en parlait en comparant les deux Napoléons. Mais désormais, les déclinistes et les optimistes s’affrontent à coups de chiffres. Qu’il faut prendre souvent avec des pincettes. La vérité est, comme toujours, souvent entre les deux. Et le déclin est avant tout un sentiment de déclin

Au XVIIe et XVIIIe siècle, la France est la première puissance européenne voire mondiale. Parce qu’elle est l’une des premières à avoir bâti un État fort et qu’elle dispose d’une population nombreuse et de terres agricoles riches et étendues. Bref, c’est un pays de cocagne qui gagne sa puissance sur le dos d’une population paysanne qui n’en profite pas beaucoup. Quelques siècles plus tôt, elle a pourtant failli disparaître sous la pression des Anglais et des Bourguignons. Ces oscillations historiques sont continues.

Reste que selon un sondage réalisé en 2021, 65% des Français sont convaincus que leur pays est en déclin. Ils étaient déjà aussi nombreux en 2005 et même 71% en 2008. Dans la même étude, le déclin est avant tout industriel et économique. Une chute rendue plus criante avec la crise de la Covid-19 qui a mis en lumière une désindustrialisation à l’œuvre depuis 40 ans et qui s’était faite à bas bruit jusqu’alors. Notre chute est considérée comme économique à 37% et politique à 31%, un sentiment que l’on retrouve dans le sentiment de défiance à l’égard des dirigeants économiques et politiques.

Bas de gamme et appauvrissement

Pour autant, avec moins de 1% de la population mondiale, notre pays reste la 6ème (ou la 7ème) économie mondiale en produisant environ 3% de la richesse du globe. Mais paradoxalement, notre pays reste parmi les plus riches alors que le niveau de vie de l’essentiel de sa population stagne ou régresse. Pour Bruno Palier, directeur de recherche au CNRS, c’est essentiellement dû à un choix effectué dans les années 80 de privilégier une production bas de gamme et donc des salaires bas. De fait, alors que la plupart des pays ont vu leurs salaires augmenter peu ou prou en lien avec la richesse produite, ça n’a pas été le cas en France où les Français se sont comparativement appauvris.

Et le sentiment de déclin est en partie lié à ça : selon le sondage de 2001, ceux qui pensent vivre moins bien que leurs parents sont 78% à penser que le pays est en déclin alors que ceux qui estiment vivre mieux que leurs parents ne sont plus que 52% dans ce cas. La perception du déclin est donc en partie liée à la perception de sa propre glissade.

Mettre les chiffres en perspective

Alors certes, il y a des chiffres qui font mal : en 1975, lors de la création du G7, la part du PIB français par rapport au reste du monde était de 6% et il désormais de 3%. Un chiffre à relativiser cependant : le G7, c’était alors 62% du commerce mondial contre 44% maintenant. Et tout est à l’avenant dans le discours sur le déclin : certes, il y a baisse et contraction de la place de la France mais c’est rarement aussi spectaculaire que ce que les chiffres bruts laissent entendre. Et l’émergence de la Chine, de l’Inde et dans une moindre mesure du Brésil est aussi à prendre en compte.

Selon l’Institut de sondage BAV group et l’université de Pennsylvanie qui dressent chaque année un classement multi-critères des pays, la France arrive quand même 12ème. Un classement dominé par la Suisse, l’Allemagne et le Canada. On pourrait voir ça comme un verre à moitié plein mais on le voit à moitié vide : deux voisins à nous aux deux premières places, ça fait mal en terme de comparaison.

Cela pourrait résumer notre attitude vis à vis du déclin : il repose essentiellement sur notre perception. Parce que tout prendre en compte dans un monde en mouvement constant est tout bonnement impossible. Surtout, « la France ne peut être la France sans la grandeur » disait le général de Gaulle qui savait flatter ce besoin. A partir de là, difficile de ne pas succomber à l’idée du déclin.

Jean Luc Eluard

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