1 QUESTION A. La génération Z, souvent définie comme celle qui regroupe les jeunes nés après l’an 2000, est-elle moins travailleuse que les générations qui l’ont précédée ? Nous avons posé la question à Laurent Giraud, professeur en science de gestion des ressources humaines à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) Savoie Mont-Blanc
« Il est en réalité particulièrement difficile de définir les générations d’un point de vue scientifique, car les liens identifiés entre génération et comportements au travail reposent davantage sur des conceptualisations de l’ordre de la construction sociale qu’à un lien avec la date de naissance.
Des personnalités communes ?
La définition la plus couramment utilisée est celle qui se base sur les dates de naissance, en considérant qu’une génération dure environ 20 ans, car cela correspond à la durée nécessaire pour atteindre l’âge adulte. Nous aurions donc d’abord la génération des boomers, née après la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis la génération X entre 1960 et 1980, la Y qui comprend les personnes nées entre 1980 et 2000, et enfin la génération Z à partir du XXIe siècle.
Les membres de la génération Y ont par exemple grandi avec les ordinateurs, les réseaux sociaux, mais aussi la menace des attentats terroristes. Le fait de vivre les mêmes évènements à des âges formateurs comme l’adolescence pourrait ainsi nous mener à présenter des personnalités communes. Sur le papier, l’idée est séduisante. Mais elle ne répond pas à une réalité scientifique.
Pas d’effet génération
Les différents travaux que j’ai menés, ainsi que ceux de nombre de mes collègues, ne montrent pas d’effet des générations sur la satisfaction, l’engagement ou la fidélité au travail. Le fait de considérer une génération sous le prisme des dates de naissance ne permet en aucun cas d’expliquer ou de comprendre les comportements en entreprise, ou même dans la vie en général.
Il existe par contre d’autres facteurs qui permettent de prédire plus précisément les comportements au travail : la catégorie socio-professionnelle des parents, l’éducation reçue, l’expérience et le nombre d’années déjà passés en entreprise. Davantage que la date de naissance, ces antécédents tels que la culture nationale, semblent davantage conditionner notre rapport au travail.
Stéréotypes destructeurs
Mais le fait d’entendre certains médias véhiculer l’idée selon laquelle la nouvelle génération serait plus flemmarde n’est pas sans conséquence. Des études de psychologie ont montré que ces stéréotypes finissent par être intégrés par les personnes concernées, et que cela influence la perception qu’ils ont d’eux-mêmes.
Similairement, les générations plus anciennes, à force d’entendre ces stéréotypes fréquemment rabâchés, finissent par croire qu’on ne peut plus rien faire de ces nouveaux jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Et ils ne remettront pas du tout en question leur manière de diriger les équipes par exemple, alors qu’en France il existe un réel problème de management trop directif et autoritaire.
Je pense qu’il faudrait donc plutôt se poser la question de notre rapport au travail, qui lui est réellement en train de changer à la lumière des crises économiques successives et suite notamment à celle de la Covid-19, qui ont donné naissance à une généralisation du télétravail par exemple. Et le changement du rapport au travail semble concerner davantage que les jeunes générations.
Des entreprises qui ne font plus rêver ?
Certains secteurs n’arrivent plus à recruter, mais le problème vient en réalité des conditions de travail et de rémunération qui sont proposées dans ces secteurs. Les entreprises ont leur part de responsabilité, et il ne faut vraiment pas tout mettre sur le dos de la génération Z qui est en réalité composée d’individus très hétérogènes dans leurs traits de personnalité.
Pour conclure, il apparait donc urgent de déconstruire ces préjugés sur les nouvelles générations qui, s’ils ne sont basés sur aucune preuve scientifique, alimentent réellement des conflits internes au sein des entreprises. »
Propos recueillis
par Thomas Allard
Avec le soutien du ministère de la culture