Est-il possible de lire un livre de 170 pages en moins de 20 minutes ? C’est en tout cas la promesse des coachs en développement personnel qui font la promotion de la lecture rapide dans les médias et sur les réseaux sociaux. Mais les recherches scientifiques contredisent ces affirmations. Elles montrent que le fait de lire à trop grande vitesse affecte forcément notre compréhension des textes
Depuis quelques années des coachs en développement personnel multiplient les apparitions dans les médias afin de vanter les mérites de la lecture rapide, une technique qui permettrait de lire à une vitesse stratosphérique. Il faut dire que pour un lecteur aguerri, le rythme moyen de lecture se situe entre 200 et 400 mots à la minute, soit environ une page par minute. Ces coachs affirment quant à eux pouvoir lire à un rythme bien supérieur : environ 10 pages à la minute.
Une technique née il y a plus de 60 ans
C’est au milieu du XXe siècle que cette technique est inventée et popularisée par la femme d’affaires américaine Evelyn Wood qui lance son programme de formation de « lecture dynamique » en 1959. Cela permettrait de lire des ouvrages à grande vitesse, tout en retenant la majeure partie des informations qui s’y trouvent.
Pour y arriver, ses promoteurs préconisent notamment de supprimer la subvocalisation, cette « petite voix » intérieure qui nous accompagne lors de la lecture silencieuse d’un texte. Les coachs en lecture rapide proposent également de s’appuyer sur la vision périphérique afin de lire simultanément de grands segments d’une page, au lieu de s’attarder sur chaque mot. « Il faut se concentrer uniquement sur les milieux de phrase, pour ne pas les lire en entier, car si on se concentre sur un point, les yeux parviennent à voir ce qu’il y a avant et après », déclarait en 2022 au média Konbini un coach qui commercialise des formations en lecture rapide.
Mais que disent les différentes études scientifiques qui se sont penchées sur la lecture rapide ? En 2016, une équipe de chercheurs américains en sciences cognitives et en psychologie a analysé les différentes études menées depuis 6 décennies sur le sujet. Et le résultat est sans appel : selon eux, « rien ne prouve que les programmes de formation permettent aux gens d’augmenter considérablement leur vitesse de lecture tout en conservant une excellente compréhension ».
Une extraordinaire capacité à tourner les pages
Des tests ont notamment été menés sur un groupe d’adulte aux Etats-Unis en 1999. Des lecteurs qui plafonnaient à 280 mots par minute ont suivi des cours de lecture rapide. Suite à cet entrainement, ils lisaient environ 400 mots par minute. Mais leur score de compréhension du texte a baissé de 7 % par rapport à la période où ils lisaient 280 mots à la minute.
Quelques années plus tôt, en 1983, un chercheur de l’Université de l’Etat de l’Arizona a testé les capacités de deux champions de l’académie américaine de lecture rapide. S’ils lisaient à la vitesse stratosphérique de 15 000 mots par minute, les deux champions ont eu de piètres résultats aux tests chargés d’évaluer leur compréhension du texte. Le chercheur en a alors ironiquement conclu que « le seul talent remarquable manifesté par les deux lecteurs rapides était leur extraordinaire rapidité à tourner les pages ».
Limites physiologiques
S’il est impossible d’augmenter radicalement notre vitesse de lecture sans sacrifier la compréhension, c’est notamment à cause de nos limites physiologiques. Notre acuité visuelle est limitée : elle est beaucoup plus élevée dans la fovéa, c’est-à-dire au niveau du centre de notre vision, qu’en périphérie. C’est donc au cœur de cette zone de la rétine, où la vision des détails est la plus précise, que se produit la grande majorité du processus de reconnaissance des mots. Ainsi, notre espace d’identification des mots se limite à environ 7 caractères à droite du point que l’on fixe. Les études montrent que les lecteurs n’accèdent à aucune information textuelle provenant des lignes situées au-dessus et en dessous de la ligne en cours de lecture. Il est donc impossible de lire une page entière d’un seul coup.
Quant à la « petite voix » dans notre tête, que les formateurs en lecture rapide préconisent d’éteindre pour aller plus vite, elle a en réalité un rôle essentiel dans la compréhension des textes, en particulier lorsqu’ils sont particulièrement compliqués. « Un certain nombre d’études montrent que les lecteurs accèdent naturellement aux sons des mots lorsqu’ils lisent silencieusement. Les tentatives d’inhiber ce processus ont généralement des effets négatifs sur la lecture », soulignent les auteurs de la méta-analyse publiée en 2016.
Finalement, le meilleur moyen de lire des textes plus rapidement tout en les comprenant reste d’améliorer sa connaissance de la langue, en élargissant son vocabulaire par exemple, soulignent les chercheurs. Mais n’espérez pas pouvoir dévorer la trilogie du Seigneur des anneaux en moins de 2 heures ! La lecture prend du temps, alors autant en profiter.
Thomas Allard