Éliminer les fausses pistes en terme de recherche et développement industriel. C’est possible avec l’IA développée à Strasbourg. Qui adapte au marché une vieille solution inventée en Union soviétique
A la base, il y a la méthode Triz. On ne va pas dire que c’est vieux comme le monde mais ça date de l’après-guerre. C’est à ce moment qu’un chercheur soviétique se rend compte que bien des brevets, donc des solutions techniques potentielles, ne sont pas exploités. Pourquoi ? Parce qu’on ne les a utilisés exclusivement dans le domaine pour lequel ils ont été conçus. Alors qu’ils pourraient être appliqués dans d’autres domaines. Il invente donc une méthode qui permet de faire céder les blocages mentaux qui empêchent de penser qu’une solution générique pourrait être employée dans une multiplicité de domaines différents.
Chercher les mots clés dans les brevets
Jusqu’aux années 2000, même utilisée par des entreprises comme Samsung, « le datamining a grande échelle de Triz était encore fait à la main » souligne Hugo Chague, co-fondateur et président de Tekimpact. Jusqu’à ce que Denis Cavallucci et son équipe du Laboratoire des sciences de l’ingénieur, de l’informatique et de l’imagerie (ICube à l’INSA Strasbourg) ne mette au point un logiciel d’intelligence artificielle qui permet de ratisser plus large et plus vite. Jusqu’alors, « on avait du mal à traduire les demandes du marché en problème pratique pour les ingénieurs. Le marketing a un cahier des charges trop vaste. » Sa solution consiste à « opérer une extraction sémantique des brevets dans [le] secteur » de chaque entreprise pour qu’elle ait accès à tous ceux qui pourraient la concerner.
Une innovation pour sept pistes
Selon Hugo Chague, « chaque année dans le monde, on dépense 900 milliards d’euros en recherche et développement pour des produits innovants. Un seul produit est initié pour sept pistes lancées. » Le chiffre est à peu près similaire pour la France, pour 35 milliards investis. Parce que la méthode employée consiste à explorer le plus de pistes possibles, dont des voies qui seront sans issue. Tekimpact propose de repérer les brevets pertinents pour éliminer les voies de garage.
A partir du logiciel issu des recherches menées par Denis Cavallucci entre 2006 et 2016, la société d’accélération du transfert de technologies (SATT) Conectus a investi pour réaliser une version béta utilisable de manière pratique. Et la SATT a aidé à fonder Tekimpact qui a affiné le produit tout en décrochant un premier contrat en 2021. La filière d’EDF chargée du démantèlement des centrales nucléaires a vu dans cette recherche rapide de solutions techniques existantes un moyen de trouver des solutions inexplorées pour sa tâche. D’autant qu’en même temps, Tekimpact travaille à élargir la recherche au-delà des brevets pour englober aussi les publications scientifiques.
Du laboratoire à l’industriel
Pour autant, la recherche n’est pas entièrement automatisée et laissée à l’IA : « L’intervention humaine est nécessaire pour poser la problématique. On ne remplace pas l’humain mais on l’aide à mieux évaluer le problème. » Tekimpact ne propose pas seulement le logiciel clé en main. Il assortit son offre d’un accompagnement en conseil aux entreprises pour exploiter au mieux les ressources à miner. Avec à terme la perspective de « transformer l’outil de laboratoire actuel en un outil industriel » pour lequel les techniciens de Tekimpact n’auraient plus qu’une formation à l’utilisation à assurer.
Reste qu’au fond, « ce qui m’anime, c’est de pouvoir répondre aux enjeux de la transition écologique » espère Hugo Chague. « Ça tient à la manière dont on initie les projets et dont on classe les problématiques à résoudre par l’IA. Mais c’est ce qui va m’animer durant toute une vie. »
Jean Luc Eluard
Avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation