La consommation de thés lactés et autres « bubble teas » peut entraîner une dépendance, selon une étude scientifique à paraître. En outre, une consommation excessive de ce type de boissons serait associée à la dépression, à l’anxiété et aux idées suicidaires. Les auteurs de l’étude plaident pour que les politiques prennent des mesures de santé publique contre cette gourmandise
D’origine taïwanaise, le bubble tea est à base de thé et de billes de tapioca parfois gorgées de sirop de mangue ou autres. On le déguste à l’aide d’une large paille dans un gobelet transparent. Cette formule a conquis les adolescents du monde entier. Elle se répand en France depuis une dizaine d’années.
Désormais, toutes les villes ont leurs points de vente, si possible proches des collèges, lycées, universités. La Chine n’est pas épargnée par le phénomène : fin 2022, elle comptait pas moins de 486 000 magasins de bubble tea, selon la China Chain Store and Franchise Association, et 515 000 en août 2023.
En France, il ne se passe plus un anniversaire sans que les jeunes en dégustent avec leurs « BFF » (Best friends forever). Cette pratique grève même l’argent de poche des préados et ados urbains, prêts à tous les sacrifices pour siroter leur doux breuvage.
Boire plus de six tasses par semaine est corrélé à plus d’anxiété, dépression, idées suicidaires
Seulement voilà, enfants et surtout parents ne vont plus voir le bubble tea du même œil. Selon une étude menée en 2022 par des chercheurs de l’école Vanke de santé publique de l’Institut pour une Chine saine et du Centre de santé mentale de Pékin (Chine), la consommation de thé au lait, aux fruits, aux fleurs et autres bubble teas, développe une dépendance*. L’étude à paraître en novembre 2023 dans la revue Journal of Affective Disorders a été réalisée sur 4078 collégiens pékinois âgés de 15 à 24 ans.
Les symptômes de cette dépendance sont les suivants : un besoin impérieux, une perte de contrôle (incapacité d’arrêter), une tolérance (obligation d’augmenter les doses pour obtenir les mêmes effets), des difficultés au sevrage, des sentiments de culpabilité…
Or, selon leurs travaux, près de 77 % des participants (soit près de 8 jeunes sur 10) ont consommé au moins 6 à 11 « tasses » de ce type de boissons au cours de 2022, et 20,6 % en buvaient 2 à 3 tasses par semaine.
Pire, les scientifiques ont constaté qu’un niveau plus élevé de dépendance à ces boissons (plus de six tasses par semaine) était significativement associé à un risque plus élevé de dépression, d’anxiété et d’idées suicidaires.
D’après un livre blanc sur la consommation de ces boissons, 83 % des clients boivent entre 5 et 14 tasses de thé au lait/bubble tea par mois, les jeunes représentant 58 % du total des consommateurs, dont 70 % sont des femmes.
Les raisons d’un tel succès ? Saveur, packaging, identité sociale…
Diverses caractéristiques contribuent à la popularité de ces boissons auprès de la génération Z, expliquent les scientifiques, telles que « sa saveur délicieuse, son emballage ou un magasin attrayant, ses attributs sociaux et son prix abordable… ».
Selon des travaux antérieurs, ces boissons « réconfortantes » pourraient servir de stratégie d’auto-apaisement face aux facteurs de stress et aux émotions difficiles, comme la solitude, que rencontrent les jeunes. Cela renforcerait la dépendance à l’égard de cette consommation qui pourrait à son tour entraver le développement de stratégies efficaces de régulation des émotions. Et pourrait aboutir à de graves problèmes de santé mentale, notamment la dépression, l’anxiété et même des idées suicidaires, selon cette étude.
Cette étude chinoise qui n’est pas encore parue fait déjà débat. Nous avons voulu recueillir l’avis de (rares) spécialistes, qui sont à la fois nutritionnistes et psychiatres ou psychothérapeutes, sur cette étude : « Je n’y crois pas du tout » nous a répondu l’un, « Je suis plus que sceptique » nous a confié l’autre, tous deux refusant l’interview. D’autres études sont nécessaires.
Des mesures pour protéger la santé mentale des jeunes
En attendant, malgré la popularité de ces boissons et les problèmes de dépendances et conséquences potentielles sur la santé mentale que leur consommation à outrance pourrait engendrer, aucune politique réglementaire régit le marché. Les auteurs de l’étude plaident pour que des mesures de santé publique soient prises : « Ces résultats peuvent aider les décideurs politiques à élaborer des réglementations telles que la restriction de la publicité, la psychoéducation, l’établissement de normes d’hygiène alimentaire pour une industrie de consommation aussi prospère et dominée par les jeunes, tout en protégeant leur santé mentale ».
*conformément au DSM-5, la dernière et cinquième édition du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.
Florence Heimburger