Le taux des erreurs médicamenteuses de 9% fait froid dans le dos. A La Rochelle, la société Eurekam mise sur l’intelligence artificielle pour pallier les défaillances humaines. Leur solution : un logiciel intelligent, équipé de caméras, qui contrôle et valide chaque étape de la préparation des médicaments anti-cancéreux.
En 2017, l’Organisation mondiale de la santé tirait la sonnette d’alarme et évaluait que, rien qu’aux États-Unis, « les erreurs médicamenteuses font au moins un mort par jour et causent des lésions chez 1,3 million de personnes chaque année ». Le président de la société Eurekam, Loïc Tamarelle, lui non plus, n’y va pas par quatre chemins. « C’est l’équivalent de 2000 avions par an qui s’écrasent », pose-t-il d’emblée, « le taux d’erreurs est évalué à environ 9% ».
En oncologie ou cancérologie notamment, spécialité qui nécessite des solutions médicamenteuses « personnalisées » selon le poids, la taille ou la pathologie des patients, les conséquences de ces erreurs sont particulièrement graves. «Les médicaments sont hyper-virulents et les doses sont toujours à la limite de la dose létale pour tuer les cellules cancéreuses. En cas de surdosage, on peut imaginer les conséquences… Sans compter les erreurs liées à l’utilisation d’un mauvais produit qui entraine des effets secondaires ou des problèmes de santé additionnels. Et si c’est un sous-dosage, cela se traduit par une perte de chance et d’efficacité pour guérir », explique Loïc Tamarelle.
Deux caméras et un logiciel interactif
La préparation par des pharmaciens hospitaliers de ces médicaments (injectés essentiellement en seringue ou via des perfuseurs) se déroule au sein des salles dites « blanches » des hôpitaux, cliniques ou centres anti-cancers. « Pour ces doses personnalisées, rien de mieux que l’humain, mais des facteurs tels que la fatigue, la répétition des tâches, et le manque de vigilance peuvent cependant conduire à des erreurs », ajoute Loïc Tamarelle. Il a co-fondé en 2012 la société Eurekam avec comme co-équipier un pharmacien hospitalier de La Rochelle, Benoît Le Franc. C’est ce dernier, au contact du terrain, qui a eu en effet l’idée en 2009, de filmer les séances de préparation de ces solutions médicamenteuses « pour tout d’abord prouver, en cas de pépin, que les protocoles demandés étaient respectés. Puis une réflexion est née pour amener de la technologie afin de garder le meilleur de l’intervention humaine tout en sécurisant l’aspect plus fragile de la vigilance ».
Trois ans de recherche plus tard, avec l’aide au prototypage apportée par l’Université de La Rochelle, un dispositif innovant, avec dépôt de 34 brevets, appelé désormais Drugcam voyait le jour. Un logiciel intelligent, équipé de deux caméras, capable de détecter les erreurs potentielles.
Concrètement, lors de la préparation d’une solution, le pharmacien hospitalier effectue ses tâches habituelles, sous l’œil désormais de deux caméras, l’une filmant en continu son plan de travail, l’autre zoomant sur les produits, flacons, étiquettes…
Le logiciel, qui au préalable a listé toutes les étapes de la préparation (généralement ajout de solvants à des médicaments en poudre, puis transfert en seringue ou poche de perfusion), contrôle chaque produit, sa quantité, sa compatibilité avec l’identité du patient…, puis valide ou non. Si une erreur est détectée, par exemple de produits ou de dosage, Drugcam alerte et demande de la corriger pour pouvoir passer à l’étape suivante.
Anesthésie et pédiatrie : les mêmes besoins de sécurité
« Notre grande innovation est notamment d’avoir réussi à mettre au point un outil capable de reconnaître les produits sans code-barres, ce qui existe peu, mais aussi les volumes contenus par exemple dans les seringues. Nous sommes les seuls au monde à le faire », ajoute Loïc Tamarelle dont sa société Eurekam, aujourd’hui de 10 salariés, a équipé d’ores et déjà une trentaine de centres hospitaliers ou cliniques et qui vient de réaliser une importante levée de fonds pour conquérir le marché international.
Avec, comme autre horizon, la volonté de se tourner aussi vers les services d’anesthésie et de pédiatrie, « où il y a les mêmes besoins de sécurité sur le produit et la dose. Pour un nourrisson, une mauvaise dose de paracétamol peut être gravissime », conclue Loïc Tamarelle, mettant en avant une étude menée dans un des centres hospitaliers équipés de leur dispositif. «Elle conclue que -sur environ 70 000 préparations médicamenteuses à l’année-, grâce à notre équipement, ce serait près de 4 erreurs graves par semaine qui seraient évitées ».
Marianne Peyri
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