Après quelques victoires obtenues de haute lutte, les droits des femmes sont à nouveau menacés dans de nombreuses régions du monde. Aux États-Unis, la Cour suprême a révoqué le droit à l’avortement en juin 2022 ; beaucoup de femmes ont également quitté le marché du travail depuis la pandémie de Covid-19, souvent pour s’occuper de leurs enfants et de leurs parents âgés. Dans d’autres parties du monde, en particulier dans les pays en développement, les femmes sont les premières impactées par le changement climatique.
En tant que spécialiste de la mythologie ancienne, je connais de nombreux personnages féminins de la mythologie grecque qui nous offrent des modèles pour les défis d’aujourd’hui. Cela peut paraître surprenant, car la Grèce antique était soumise à des règles patriarcales strictes : les femmes étaient considérées comme des mineures placées sous la tutelle de leur père ou de leur mari pendant toute leur vie et n’avaient pas le droit de voter. Pourtant, dans les récits mythologiques, les femmes confrontaient le pouvoir et résistaient farouchement à l’injustice et à l’oppression.
Déesses rebelles
La rébellion féminine est au cœur de l’histoire grecque de la création du monde. Gaïa, la déesse de la Terre, se rebelle contre son mari Ouranos, le Ciel, qui l’étouffe et refuse de laisser ses enfants libres. Elle ordonne à son fils Kronos de castrer son père et de prendre son trône. Mais une fois au pouvoir, Kronos a peur d’être détrôné par ses enfants et il dévore tous les bébés que sa femme Rhéa a mis au monde.
[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
Rhéa se rebelle contre cet acte horrible. Elle donne à Kronos une pierre enveloppée dans une couverture pour lui faire croire qu’il s’agit d’un autre bébé. Rhéa cache son enfant, le dieu Zeus, qui grandit et précipite son père dans les profondeurs des Enfers. Mais l’histoire se répète et le nouveau chef des dieux craint à nouveau que sa femme ne complote pour le renverser. En tant que roi des dieux, Zeus a peur de sa femme Héra, qui se venge de toutes ses transgressions, en particulier de ses innombrables liaisons.
De même, l’histoire de Déméter et de sa fille Perséphone montre une déesse puissante qui tient bon face aux divinités masculines. Lorsque Perséphone est enlevée par Hadès, le roi des Enfers, Déméter, la déesse de l’agriculture, refuse de laisser pousser les récoltes tant que Perséphone ne lui aura pas été rendue. Malgré les supplications de Zeus, Déméter ne cède pas. Le monde entier est dépourvu de nourriture et les humains meurent de faim.
Finalement, Zeus est contraint de négocier et Perséphone remonte des Enfers pour rejoindre sa mère une partie de l’année. Pendant les mois où Perséphone est avec Hadès, Déméter retient la végétation et c’est l’hiver sur la Terre.
Femmes meurtrières
La culture grecque se méfiait toutefois des femmes au caractère bien trempé et les dépeignait comme des méchantes.
La spécialiste des lettres classiques Mary Beard explique que les écrivains masculins caractérisent ainsi les femmes pour justifier leur exclusion du pouvoir. Elle affirme que la définition occidentale du pouvoir s’applique intrinsèquement aux hommes. Par conséquent, selon elle, « les [femmes] sont, pour la plupart, dépeintes comme des abuseuses plutôt que comme des utilisatrices du pouvoir. Elles le prennent illégitimement, d’une manière qui conduit à la fracture de l’État, à la mort et à la destruction. En fait, c’est le gâchis incontestable que les femmes font du pouvoir qui justifie qu’elles en soient exclues dans la vie réelle ».
Beard utilise les histoires de Clytemnestre et de Médée, entre autres, pour illustrer son propos. Clytemnestre punit son mari, Agamemnon, pour avoir sacrifié leur fille Iphigénie au début de la guerre de Troie. Elle prend le pouvoir dans son royaume de Mycènes alors qu’Agamemnon est encore en guerre, et lorsqu’il revient, elle l’assassine de sang-froid.
Médée fait payer à son mari, Jason, le prix ultime pour l’avoir abandonnée – elle tue leurs enfants.
Médée, en tant que princesse étrangère dans la cité grecque de Corinthe, sorcière puissante et Noire, est marginalisée de multiples façons. Pourtant, elle refuse de céder. L’universitaire classique et intellectuelle féministe noire Shelley Haley souligne que Médée est fière, une caractéristique considérée comme typiquement masculine dans la culture grecque.
Haley voit dans les actions de Médée un moyen d’affirmer son individualité face aux attentes de la société grecque. Médée n’est pas disposée à laisser à Jason la liberté d’entamer une relation avec une autre femme, et elle négocie l’asile selon ses propres termes avec le roi d’Athènes. Selon Haley, Médée « résiste aux normes culturelles qui font de la procréation la seule raison d’être de l’existence féminine. Médée aime ses enfants, mais comme un homme, sa fierté passe avant tout ».
Comédie et tragédie
De manière plus humoristique, dans Lysistrata, le dramaturge Aristophane imagine les femmes d’Athènes protestant contre la guerre du Péloponnèse destructrice en faisant la grève du sexe. Sous une telle pression, leurs maris cèdent rapidement et la paix est négociée avec Sparte.
Lysistrata, la cheffe des femmes en grève, explique que les femmes souffrent doublement de la guerre, même si elles n’ont pas leur mot à dire dans la décision d’entrer en guerre. Elles souffrent d’abord en mettant au monde des enfants, puis en les voyant partir comme soldats. Elles peuvent être veuves et réduites en esclavage en plus des conséquences de la guerre.
Enfin, dans une célèbre tragédie de Sophocle, Antigone se bat pour la décence humaine face à l’autocratie. Lorsque les frères d’Antigone, Etéocle et Polynice, se disputent le trône de Thèbes et finissent par s’entretuer, le nouveau roi, Créon, ordonne que seul Etéocle, qu’il considère comme le roi légitime, soit enterré avec les honneurs. Antigone se révolte et déclare qu’elle doit faire respecter la loi divine plutôt que la loi humaine tyrannique de Créon. Elle saupoudre le corps de Polynice d’un peu de poussière, geste symbolique qui permet au mort de passer dans l’au-delà.
Antigone agit en sachant pertinemment que Créon la tuera pour faire respecter son décret. Pourtant, elle est prête à offrir le sacrifice ultime pour ses convictions.
Les femmes et la justice morale
Tout au long de ces récits, les figures féminines représentent la justice morale et incarnent la résistance des personnes privées de pouvoir. C’est peut-être pour cette raison que la figure de Méduse, traditionnellement considérée comme un monstre féminin terrifiant vaincu par le héros masculin Persée, a récemment été réinterprétée comme un symbole de force et de résilience.
Reconnaissant que la Méduse mythologique a été transformée en monstre à la suite de son viol par Poséidon, de nombreuses survivantes d’agressions sexuelles ont adopté l’image de Méduse comme symbole de résilience.
Le sculpteur Luciano Garbati a renversé le mythe. En revisitant l’image traditionnelle du victorieux Persée avec la tête de Méduse, Garbati a donné à Méduse une nouvelle position puissante avec sa statue Méduse avec la tête de Persée. L’attitude réfléchie et déterminée de Méduse est devenue un symbole du mouvement #MeToo lorsque la statue a été installée à l’extérieur de la salle d’audience où Harvey Weinstein et de nombreuses autres personnes accusées d’agression sexuelle ont été jugées.
Une inspiration pour les femmes rebelles d’aujourd’hui ?
Les échos de toutes ces histoires résonnent fortement aujourd’hui dans les mots de jeunes militantes intrépides.
Malala Yousafzai a défendu l’éducation des filles dans l’Afghanistan contrôlé par les talibans, tout en sachant que les répercussions potentielles pourraient être terribles. Lors d’une interview pour un podcast, elle a déclaré : « Nous savions que rien ne changerait si nous restions silencieuses. Le changement survient lorsque quelqu’un est prêt à s’engager et à s’exprimer ».
Greta Thunberg, s’adressant aux dirigeants mondiaux lors du Sommet de l’action climatique des Nations unies en 2019, n’a pas manqué de dire : « Vous nous décevez. Mais les jeunes commencent à comprendre votre trahison. Les yeux de toutes les générations futures sont braqués sur vous. Et si vous choisissez de nous décevoir, je vous le dis : nous ne vous pardonnerons jamais. Nous ne vous laisserons pas vous en tirer à si bon compte. C’est ici et maintenant que nous fixons les limites ».
Pour les femmes qui continuent à lutter contre l’oppression, savoir que d’autres le font depuis des millénaires peut être à la fois un réconfort et un catalyseur d’action.
Marie-Claire Beaulieu, Associate Professor of Classical Studies, Tufts University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.