S’étirer ou pas ? Avant ou après l’exercice ? Pour prévenir ou guérir les blessures ? La question des étirements est toujours un sujet sensible. Efficaces pour améliorer la flexibilité, leur utilité pour réduire la douleur est cependant remise en question.
Le mal de dos (ou lombalgie) est un des problèmes de santé les plus présents dans notre société. Jusqu’à 80 % de la population pourrait en souffrir au moins une fois dans sa vie. Il est également fréquent que les traitements n’améliorent pas la condition de certaines des personnes qui en sont affectées. Qu’est-ce qui fait que ces traitements fonctionnent ou non ? Lorsque nous connaîtrons la réponse à cette question, nous serons en mesure d’améliorer la qualité de vie de millions de personnes.
Pour diminuer la douleur, les professionnels de santé prescrivent souvent des exercices, tels que les étirements. Il a été longtemps admis que ceux-ci procurent un soulagement par une augmentation de l’amplitude du mouvement et une diminution du tonus musculaire, ce qui pourrait au final aboutir à une diminution de la douleur perçue.
Toutefois, il est rare que ce soulagement perçu soit directement associé à une réelle diminution de la douleur. Une récente étude a montré que l’augmentation de la flexibilité était en fait associée à une augmentation de la tolérance à la douleur lors de l’étirement. Donc, il est possible que les étirements aient un impact direct sur la perception de la douleur, en partie via l’augmentation de flexibilité qu’ils induisent. Cette effet se mettrait en place par l’entremise de l’activation des régions du cerveau qui modulent la douleur.
Professeur au programme de physiothérapie de l’Université Laval et chercheur au Cirris, je viens de publier avec des étudiants de l’Université Laval et McGill, un article sur l’effet des étirements sur la sensibilité à la douleur : « Stretch-induced hypoalgesia : a pilot study » dans le journal scientifique Scandinavian Journal of Pain.
Nous avons recruté 22 adultes en bonne santé qui ne souffraient pas de mal de dos. Chaque participant devait réaliser un étirement de la région lombaire (bas du dos) suivi d’un étirement des muscles de l’avant-bras. Chaque étirement devait être maintenu de façon prolongée pendant trois minutes et produire une sensation modérée d’étirement.
L’étirement produit une hypoalgésie
Avant et après chacun des exercices, nous avons mesuré un seuil de sensibilité à la douleur pour un muscle du bas du dos (érecteurs du rachis lombaire) et un muscle de l’avant-bras (fléchisseurs du poignet), à l’aide d’un algomètre.
Cet instrument de mesure muni d’un capteur permet de mesurer la pression nécessaire pour produire une douleur que l’on nomme le seuil de douleur. De cette façon, il est possible de mesurer la modulation de la sensibilité à la douleur, c’est-à-dire le changement du seuil de douleur survenant à la suite de l’étirement.
Cette modulation était calculée pour chaque étirement sur la zone étirée et sur une zone à distance des muscles étirés. Un changement enregistré dans une zone à distance de l’étirement suggère en effet une activation des régions du système nerveux central impliquées dans le contrôle de la douleur, donc un effet systémique de l’étirement.
Nous avons observé que les deux étirements produisaient une hypoalgésie, c’est-à-dire, une augmentation du seuil de sensibilité à la douleur. En d’autres termes, après que les participants aient réalisé les étirements, l’expérimentateur devait produire une pression plus grande pour produire de la douleur.
L’hypoalgésie induite par l’étirement était restreinte à la zone étirée à la suite de l’étirement du poignet, tandis qu’elle était également présente à distance de la zone étirée (c’est-à-dire à l’avant-bras) à la suite de l’étirement du dos.
Une implication du cerveau ?
Les étirements ne sont pas les seuls types d’exercices qui produisent une hypoalgésie. Plusieurs études ont démontré que des exercices aérobiques et des exercices impliquant des contractions musculaires maintenues en induisaient une également.
Ces formes d’exercices ont reçu beaucoup plus d’attention de la part de la communauté scientifique que les étirements, et certains groupes de chercheurs ont tenté d’en élucider les mécanismes. Il a par exemple été suggéré que l’hypoalgésie induite par les exercices impliquait une activation et une interaction entre les systèmes opioïdes et endocannabinoïdes du cerveau, qui nous permettent de contrôler la douleur.
Dans une revue de littérature récente, des auteurs ont suggéré que l’hypoalgésie induite par les exercices pourrait s’expliquer par leur effet déplaisant, et même parfois douloureux. En effet, on sait que l’activation des nocicepteurs (les capteurs de notre organisme qui informent le système nerveux central des stimuli dangereux) induit une hypoalgésie par l’activation de systèmes qui modulent la douleur (dont les systèmes opioïdes).
Par exemple, lorsque l’on maintient la main dans un sceau rempli d’eau froide, une douleur intense est produite et une hypoalgésie systémique est induite. Il est possible que des mécanismes similaires puissent expliquer nos résultats, étant donné que l’étirement produit également une sensation parfois déplaisante et même douloureuse.
Comme nous l’avons souligné précédemment, les effets à distance, donc potentiellement systémiques, étaient présents seulement à la suite de l’étirement du dos. Nous pensons que l’étirement du dos pourrait impliquer l’étirement d’une plus grande masse de structures (muscles, ligaments, tendons, peau) que l’étirement du poignet, et donc produire un effet plus important. Ces hypothèses devront être testées dans de futures études.
Les étirements ne sont pas la panacée
Les bienfaits immédiats ressentis à la suite d’étirement chez les personnes qui ont mal au dos pourraient donc s’expliquer par l’activation des régions impliquées dans la modulation de la douleur.
Cependant, on sait que certaines personnes souffrant de maux de dos chroniques bénéficient moins de l’hypoalgésie qui est induite par les exercices. Ceci pourrait s’expliquer par des différences dans le fonctionnement de régions du système nerveux central impliquées dans le contrôle de la douleur.
En définitive, les étirements du dos pourraient donc ne pas bénéficier à toutes les personnes qui souffrent de maux de dos. Les maux de dos sévères qui persistent dans le temps sont généralement multifactoriels ; une prise en charge générale par un professionnel de la santé peut s’avérer nécessaire pour diminuer ou contrôler sa douleur. Pratiquer des étirements n’est qu’un des outils à notre disposition pour améliorer notre état de santé, mais ce n’est pas panacée !
Hugo Massé-Alarie, Professeur adjoint, physiothérapie, Université Laval, Université Laval
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.