Depuis 2018, la plate-forme numérique Parcoursup permet aux lycéens d’enregistrer leurs vœux d’orientation dans l’enseignement supérieur et de postuler auprès des différentes formations. Ce portail participe à la régulation des inscriptions dans les universités et les écoles post-bac à partir de critères d’admission supposés égalitaires et socialement justes.
La procédure se déroule en trois étapes. Au premier semestre, les élèves de terminale préparent leur projet d’orientation motivé en s’informant sur les formations et les professions auxquelles celles-ci conduisent. Cette réflexion est censée être poursuivie au second semestre et concrétisée par l’inscription sur la plate-forme et la formalisation des vœux. Lors de la troisième étape, en juin et juillet, les lycéens reçoivent – ou ne reçoivent pas – des propositions d’admission de la part des établissements et doivent prendre des décisions en acceptant ou non ces propositions.
Le dispositif Parcoursup obéit en apparence à une logique purement cognitive intégrant dans le processus d’affectation des lycéens leurs performances scolaires, les appréciations des enseignants, l’avis du conseil de classe sur la pertinence du projet d’orientation, leurs vœux d’orientation non hiérarchisés, les capacités d’accueil et exigences fixées par les établissements d’enseignement supérieur (examen des dossiers par les commissions des formations).
Ces ingrédients gérés par des algorithmes constituent la partie émergée de l’iceberg car, comme le fait toute personne accomplissant une transition scolaire ou professionnelle, les élèves mobilisent inévitablement des ressources socioaffectives pour faire face à cet événement institutionnalisé. De l’élaboration des vœux aux propositions d’admission, les émotions sont au cœur du dispositif et les prendre en considération conditionne notre compréhension de cette expérience qui constitue une sorte de prototype de ces transitions qui marqueront la vie professionnelle.
Les émotions au cœur de l’orientation
Comme le soulignent les travaux empiriques en psychologie depuis les années 1980, les émotions, loin d’être sources de troubles du comportement et du fonctionnement psychologique, jouent au contraire un rôle de guide. Elles impulsent l’action de l’individu dans une direction déterminée, et orientent les processus cognitifs (attention, mémoire, raisonnement, décision…) afin d’assurer sa sécurité physique et psychologique. Agréables ou désagréables, les émotions aident le plus souvent les lycéens à se situer et faire des choix.
Les élèves sont ainsi conduits au cours de ces différentes étapes à anticiper leur avenir professionnel, à se fixer un objectif qu’ils désirent atteindre et, pour ce faire, à poursuivre plus ou moins explicitement les buts et objectifs intermédiaires les acheminant progressivement vers la vie professionnelle souhaitée. Franchir ces étapes ne se fait pas sur un coup de tête. Le choix rationnel peut mobiliser de nombreux processus : se poser des questions, identifier ses talents et appétences, rechercher des informations sur les formations et les métiers, sélectionner ces dernières avec pertinence, assimiler et coordonner les informations entre elles, accommoder les manières de se concevoir, et de concevoir certaines formations ou professions…
Tout au long de ces opérations, les émotions sont mobilisées. À tout moment, une information peut donner naissance à une émotion plus ou moins agréable selon qu’elle perturbe ou au contraire renforce le cours des choses ou les attentes de la personne. Cela peut être le cas par exemple d’une appréciation plus ou moins favorable émanant des instances scolaires sur le projet d’orientation de l’élève.
Les travaux empiriques montrent en effet que de telles appréciations suscitent des émotions multiples et d’intensité variable – tristesse, colère, anxiété, dégoût, honte, culpabilité mais aussi joie, exaltation, intérêt. En particulier, les émotions négatives apparaissent significativement plus intenses lorsque l’appréciation énoncée par l’instance scolaire contrarie les vœux d’orientation, que lorsqu’elle les entérine.
L’anxiété, une place particulière dans l’orientation
On sait par ailleurs que les décisions d’orientation et les activités qui lui sont associées peuvent être perçues comme anxiogènes par les élèves. L’anxiété est appréhension de ce qui pourrait advenir dans un futur plus ou moins proche, et l’orientation engage l’avenir de la personne souvent durablement. Rechercher des informations sur les formations et les professions nécessite de se confronter à la nouveauté. Si la nouveauté peut être source d’enthousiasme, elle est assez fréquemment source d’inquiétude. De même, faire le choix d’une orientation implique de renoncer à d’autres possibilités, ce qui peut induire la peur de se tromper.
Ces activités d’orientation prennent en outre place dans un contexte de transition de l’enseignement secondaire vers l’enseignement supérieur, de transition de l’adolescence à l’âge adulte, auxquels elles préparent. L’anticipation et le vécu de ces transitions, en raison notamment des changements importants qui les escortent suscitent de multiples émotions, parmi lesquelles de l’anxiété.
Ce sentiment d’insécurité n’est toutefois pas partagé de la même façon par tous les individus. Face aux enjeux de l’orientation, et lorsqu’il s’agit de se projeter mentalement dans son avenir scolaire et professionnel, les filles déclarent davantage de peur d’échouer, de décevoir leurs parents, et de s’éloigner de leurs proches, dans le cadre de leur parcours scolaire et professionnel que les garçons. De même, les élèves de milieu sociologiquement peu favorisés éprouvent une peur d’échouer et de décevoir leurs parents plus élevée que ceux d’un milieu favorisé ou moyen.
Le partage social, une ressource ?
Lorsqu’elles sont confrontées à un évènement qui induit des émotions, les personnes mettent en œuvre différents moyens pour tenter d’y faire face. L’un d’entre eux consiste à partager avec les personnes de son entourage proche l’évènement et les émotions éprouvées qui y sont associées. Pour les lycéens, parler de Parcoursup, de l’orientation, des émotions qui y sont associées, avec leurs parents, leurs amis et amies proches, ou les acteurs jouant un rôle important dans l’orientation (enseignants et enseignantes, psychologues de l’éducation nationale…), peut procurer des bienfaits psychologiques.
Le partage social permet de renforcer les liens et d’obtenir du soutien afin d’être rassuré, de restaurer l’estime de soi, le sentiment de compétence et d’atténuer le sentiment de solitude éprouvé face à la situation. En s’appuyant sur le langage et les structures logiques de pensée, il contribue en outre à réorganiser l’information et créer du sens, à réorganiser les priorités et les objectifs, envisager la situation sous un angle nouveau, et adapter ses actions en conséquence.
L’efficacité de ce partage repose cependant sur la qualité des liens tissés avec l’entourage. Plus les adolescents perçoivent les relations avec ces personnes comme sécurisantes, plus ils pourront s’impliquer dans ce partage, et plus ils en tireront des bénéfices psychologiques.
Les bonnes décisions d’orientation au sein de Parcoursup ne sont donc pas seulement fondées sur des calculs supposés rationnels mais également sur la possibilité d’en débattre sereinement avec des personnes de confiance.
Emmanuelle Vignoli, Maîtresse de conférences (HDR) en psychologie de l’orientation, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.