Vous voulez acheter un matelas ? Bonne idée si le vôtre a déjà plus de 10 ans. Vous dormirez mieux, au moins un tout petit peu. En revanche, bonjour les nuits blanches ! Comment en effet choisir tellement l’offre est pléthorique ? Opter pour le latex naturel, la mousse de polyuréthane ou la laine mérinos ? Pour Dunlopillo, Epeda, ou Treca ? De chez Conforama, Ikea ou La Compagnie du Lit ? À croire que l’industrie du matelas s’est ingéniée à nous compliquer la vie. Il y a du vrai. Il y a même un terme pour décrire le monde qui s’assombrit devant le trop-plein d’informations livrées au consommateur : l’offuscation. Une façon pour qu’il paye plus cher. Pour éviter des nuits blanches, sept conseils pratiques pour choisir votre matelas à la fin de l’article.
Pour le premier achat de matelas, le problème ne semble pas encore trop compliqué. On est jeune, on emménage, le budget est restreint, on n’a pas mal au dos, ni le sommeil léger. Et acheter en ligne est un quasi-réflexe. L’idée de recevoir dans un colis un matelas comprimé et de le voir se déplier comme dans les vidéos de Capster ou Tediber pourra être vécue comme une expérience cool, et même à partager sur les réseaux sociaux.
Et puis les millennials affectionnent les disrupteurs. Ce n’est pas Mattress Firm, le plus grand marchand américain de literie et ses milliers de boutiques, qui aurait pensé appliquer la technologie de compression sous vide aux matelas ainsi que de les livrer à domicile enroulés dans une boîte en carton grande comme un réfrigérateur. Même s’il avait été imaginatif, Mattress Firm, comme les autres distributeurs, n’aurait d’ailleurs pas eu intérêt au développement de cette innovation. Pourquoi cannibaliser une partie de ses ventes en offrant des matelas simples, à bas prix et marges réduites ?
Explosion des distributeurs en ligne
Il s’agit là d’une histoire classique de disruption : des innovateurs venus d’ailleurs, entrant par le bas du marché, trop négligé par les entreprises en place, et mettant au point une organisation qui permet de réduire les coûts et les prix. J’ai décrit ce modèle bien connu dans « L’Ubérisation du rasoir mécanique ». Remplacer ici Dollar Shave Club et ses lames de rechange livrées à la maison deux fois moins cher qu’en magasin par Capster et son matelas basique en polyuréthane. Les matelas n’étant d’ailleurs, pas plus que les lames, fabriqués par le distributeur car il s’approvisionne auprès des mêmes fournisseurs que les vendeurs en boutique.
Sept ans après cette innovation, le choix n’est pas pour autant si simple que cela pour les jeunes ménages. Des dizaines de marchands en ligne proposent désormais des matelas compressés livrés à la maison. Aux États-Unis, près de 200 ont été recensés ! Quel site choisir ? Quel matelas aussi car les vendeurs ont étendu leur assortiment ? Ils rivalisent tous en cherchant à différencier leurs produits et services, y compris sur des détails comme l’incorporation de crins de cheval, de fibres de soja ou de microcapsules de verveine. Le matelas Vegan a même fait son apparition.
Le choix en ligne du jeune ménage peut toujours se porter sur le matelas basique à petit prix. Mais voilà ! il est en polyuréthane, un produit dérivé du pétrole, et il contient pas mal de composés chimiques plus ou moins volatils et toxiques. Cela ne colle pas bien avec les préférences marquées des enfants du numérique pour la sauvegarde de la planète. En outre, il faut savoir que l’achat d’un matelas en boîte en carton n’est pas idéal pour la réduction des déchets. On est loin des canons de l’économie circulaire.
Expliquons pourquoi. Les matelas compressés ne pouvant être essayés avant l’achat, les distributeurs en ligne offrent la possibilité de retour dans les 100 jours, parfois plus. Le matelas est repris chez le client par un transporteur. Gratuitement et sans demander bien sûr qu’il soit remis dans son emballage d’origine. Un exercice aussi impossible que de faire réentrer de la pâte dentifrice dans son tube ! Le retour d’un matelas coûte donc cher alors même que son taux est élevé, faute d’essai préalable par le client.
Ce désavantage pour la distribution en ligne l’est également pour l’environnement. Que faire de ces montagnes de matelas usagés même utilisés seulement quelques dizaines de jours ? Pas grand-chose à part l’enfouissement en décharge. Les possibilités de recyclage existent mais elles sont limitées. De même pour la réutilisation. Les matelas reconditionnés après désinfection et diverses opérations restent une affaire confidentielle et un marché de niche. La valeur de la mousse n’atteint pas celles des composants de téléphone portable et le risque zéro-acarien et zéro-puce de lit difficile à garantir.
À changer tous les 10 ans
Notons aussi que l’explosion du nombre de distributeurs en ligne permet aux indifférents au sort de la planète de changer de matelas tous les trois mois sans débourser un seul euro. L’existence de vingt vendeurs indépendants assure déjà aux petits malins non écolos un peu plus de 5 ans de matelas neufs gratuits à la maison.
Même si vous êtes un enfant du numérique, je vous suggère donc d’essayer votre matelas en magasin. C’est devenu d’autant plus facile que de nombreuses boutiques en ligne ont désormais pignon sur rue. Par exemple, si vous êtes Parisien, aller tester les matelas de Tediber dans son magasin La boîte de nuit, un nom d’enseigne bien choisie. Si vous résidez à Boston, essayez votre matelas Casper chez Targets, une chaîne de literie partenaire du marchand en ligne. Inversement, les distributeurs historiques en dur, comme la Compagnie du Lit et Mattress Firm ont développé leurs ventes sur Internet de matelas compressés. La frontière entre les disrupteurs et les historiques du matelas s’estompe.
La frontière entre les primo-acheteurs et ceux qui veulent changer de matelas ne s’efface en revanche qu’en partie. Les jeunes et moins jeunes générations n’ont pas les mêmes besoins, mais sont toutes confrontées à la même offre pléthorique et à l’impossibilité de comparer les mêmes matelas chez des marchands différents.
Commençons par les besoins de renouvellement. Il convient de changer son matelas environ tous les dix ans. Compter quelques années de moins pour les matelas en mousse et quelques années de plus pour les matelas en latex. Les Français changent de matelas tous les 14 ans en moyenne et les Hollandais tous les 9 ans. Mais cet état de fait semble plus lié aux habitudes de consommation que dicté par des types de matelas différents dans leurs chambres à coucher.
Quoiqu’il en soit, Hollandais ou Français passés la quarantaine vont chercher un matelas nouveau plus confortable. Leur budget le leur permet et surtout leur sommeil est moins profond, l’endormissement plus long et la fréquence de réveil nocturne plus grande que durant leur jeunesse. Il est bien établi que la qualité du sommeil se dégrade avec l’âge. Par ailleurs, les fabricants et les marchands de matelas vantent depuis des années le confort de leur literie et ses effets positifs, sinon réparateurs, sur la qualité du sommeil. Idem pour le mal de dos et les réveils douloureux. D’où une profusion de matelas multicouches, multimatériaux, à accueil ferme ou moelleux, à mémoire de forme, à ressorts ensachés ou biconiques, à coutil thermorégulateur, à face de couchage été/hiver, etc.
N’étant ni un spécialiste du sommeil ni un spécialiste de la literie, il m’est difficile de me prononcer sur les effets d’un nouveau matelas. Il semble toutefois qu’il diminue les micro-réveils et est perçu comme bienfaisant par les dormeurs. Il s’agit là d’une étude parmi d’autres réalisées par la même association professionnelle de la literie en collaboration avec des médecins hospitaliers. Si vous en savez plus sur le sujet ou disposez de sources plus variées et de méta-études, faites-le moi savoir en postant un commentaire.
Parfum de camomille
Poursuivons sur la profusion des offres et les pratiques d’offuscation des marchands de matelas qui relèvent plus de mon domaine. Comme presque toujours pour la science économique, ces phénomènes ont été analysés aux États-Unis, mais à grands traits les observations et les résultats valent pour l’Europe et la France. La théorie de l’offuscation trouve son origine dans les coûts de recherche qui incombent aux consommateurs pour s’informer du prix et de la qualité du bien qu’ils souhaitent se procurer (voir encadré de ma chronique sur le prix des noces).
L’offuscation consiste, pour les entreprises, à rendre plus difficile cette recherche, d’en augmenter les coûts pour augmenter leur profit. Détaillons deux pratiques courantes. La première est de faire en sorte que le même matelas vendu dans des magasins différents n’apparaisse pas comme tel à l’acheteur. Par exemple, d’un distributeur à l’autre, le même matelas Simmons s’appellera Beautyreste Recharge Allie, Recharge Signature Select Hartfield ou encore Beautyreste Recharge Lyric Luxury.
Le matelas proposé d’un distributeur à l’autre peut également être rendu légèrement différent par une caractéristique secondaire comme une variation du dessin du capitonnage ou l’exhalation d’un parfum de camomille. De tels subterfuges rendent plus difficile de comparer les prix d’une enseigne à l’autre pour faire jouer la concurrence, et donc d’obtenir au meilleur marché son matelas préféré.
Une seconde pratique consiste à allonger la liste des caractéristiques techniques des matelas et à multiplier le nombre de modèles proposés. Les coûts de recherche augmentent alors considérablement car le consommateur, avant de trouver la variété qu’il préfère, doit à la fois prendre connaissance des différentes caractéristiques des matelas et découvrir celles qui lui importent. S’il ne veut pas s’épuiser à la tâche, il choisira une enseigne ou une boutique et s’y tiendra pour acheter son matelas. Avec en plus de fortes chances de succomber au chant du vendeur lui conseillant un modèle de matelas plus haut de gamme et plus cher que celui qu’il avait en tête en poussant la porte du magasin. N’y va-t-il pas de la qualité de son sommeil pour les dix prochaines années, dont il passera le tiers allongé ?
Quelques conseils…
Pour conclure, quelques conseils découlant de ce qui précède ou que j’ai glanés ici ou là pour l’achat d’un matelas :
- Consulter les sites qui décrivent les caractéristiques clefs des matelas et comparent différents modèles.
- Essayer plusieurs matelas sans hésiter à prendre un livre pour rester une dizaine de minutes allongé sur chacun plutôt qu’une poignée de secondes.
- Quand vous voyagez, demandez à la réception de l’hôtel sur quel type de matelas vous avez très bien (ou très mal…) dormi.
- Fixez-vous une limite de prix à ne pas dépasser avant d’entrer en boutique.
- Avant toute chose, préoccupez-vous de la dimension. Si vous dormez en couple, l’amélioration de votre sommeil viendra d’abord d’un matelas queen ou king size (160 cm et 180 cm) si le vôtre ne fait que 140 cm.
- Prêtez attention aux matières de votre matelas et aux composés chimiques qu’ils peuvent contenir ainsi qu’aux possibilités de recyclage.
- Sauf prédispositions, évitez les futons orientaux, les planches à clous des fakirs et les matelas à eau.
Voilà, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bonne nuit.
François Lévêque vient de publier chez Odile Jacob « Les entreprises hyperpuissantes. Géants et Titans, la fin du modèle global ? »
François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisTech
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.