Selon le Baromètre Santé 2017, publié en 2019 par Santé Publique France, la vape est le recours le plus fréquent utilisé par les fumeurs qui désirent arrêter la cigarette
On y apprend notamment que dans notre pays, « les vapoteurs âgés de 18 à 75 ans ont quasiment déjà tous une expérience avec le tabac : parmi les vapoteurs quotidiens, 49,5 % sont d’anciens fumeurs et moins de 1 % n’ont jamais fumé ». En outre, un nombre très conséquent d’entre eux (76,3 %) déclarent que l’e‐cigarette les a aidés à arrêter de fumer. Si 8,6 % de ceux qui y ont eu recours l’ont utilisé en combinaison avec d’autres substituts, 67,8 % ont réussi à se sevrer du tabac sans autre aide.
La cigarette électronique semble donc rencontrer un franc succès auprès des Français. Ce qui n’empêche pas certaines interrogations : la vape, qui séduit également les jeunes, pourrait-elle les inciter à passer au tabac ? Peut-on vapoter quand on est enceinte ? Et plus largement, la vape présente-t-elle des risques ?
Quelle est la position des autorités de santé sur la vape ?
Si les recommandations de la Haute Autorité de Santé en matière de sevrage tabagique, mises en ligne en 2006, n’ont pas été actualisées depuis 2010, les sociétés savantes ont évolué quant à la place de la vape dans le sevrage tabagique.
Ainsi, en 2018, la Société française d’anesthésie-réanimation (SFAR) a précisé que
« l’usage de la cigarette électronique, alors que la population des fumeurs et ex-fumeurs qui y a recours ne cesse d’augmenter, doit être considéré par les médecins anesthésistes-réanimateurs comme une aide très positive en période préopératoire, cette dernière étant bien identifiée comme très favorable à la décision d’arrêt du tabac ».
Dans le cadre du mois sans tabac 2019, la Société francophone de tabacologie (SFT) et la Société de pneumologie de langue française (SPLF) ont publié un communiqué de presse commun. On pouvait notamment y lire que
« La cigarette électronique est probablement une aide efficace pour arrêter de fumer. Elle doit dans ce cas être utilisée de façon transitoire (en l’absence de donnée précise sur ses effets à long terme) en vue de l’arrêt de la consommation tabagique. Elle doit être proscrite chez les non-fumeurs. […] Fumer et vapoter dans le même temps n’est pas une solution, car cette conduite ne réduit pas les risques liés au tabac. »
L’Institut national du cancer (InCA) ne dit pas autre chose dans sa brochure Agir pour sa santé, précisant que la cigarette électronique « peut être un outil d’aide à l’arrêt du tabac. Utilisée seule et non en association avec la cigarette traditionnelle, elle permet de réduire les risques liés au tabac. »
Mais quelle est l’efficacité réelle de la cigarette électronique pour le sevrage tabagique ? Pour le savoir, il faut se tourner vers les études scientifiques.
Une aide efficace au sevrage
Peter Hajek et son équipe ont cherché à évaluer cette efficacité. Ils ont pour cela mené une étude impliquant 886 fumeurs ayant recours soit à un traitement de substitution nicotinique, soit à une vapoteuse de seconde génération (avec 18 mg de nicotine). Dans les deux groupes, les participants assistaient chaque semaine à une séance hebdomadaire de soutien comportemental, 4 semaines durant. Les résultats de ces travaux ont été publiés en 2019 dans la prestigieuse revue médicale New England Journal of Medicine
Au bout d’un an de suivi, il est ressorti que la vape avait de meilleurs résultats, cependant son utilisation persistait dans le temps. Les chercheurs ont ainsi constaté près de deux fois plus d’abstinence tabagique parmi les vapoteurs (18 %) que parmi ceux qui utilisaient un traitement de substitution nicotinique (9,9 %). Parmi les abstinents, ceux du groupe « e-cigarette » étaient toutefois plus susceptibles que ceux du groupe « traitement de substitution nicotinique » de continuer à utiliser au-delà d’un an le produit qui leur avait été attribué (80 %, soit 63 des 79 participants, contre 9 %, soit 4 des 44 participants).
Plus récemment, en 2021, une revue Cochrane (revue destinée à l’organisation et au partage de l’information dans la recherche médicale) a été consacrée à la vape. Elle incluait 56 études ayant porté sur 12 804 adultes fumeurs de tabac. Les études avaient là encore comparé la vape (avec nicotine) à différents traitements destinés à aider à arrêter de fumer : substitution nicotinique, varénicline (molécule mimant les effets de la nicotine, ndlr), vape sans nicotine, soutien comportemental seul et absence de soutien comportemental.
Une nouvelle fois, les résultats plaident en faveur de la vape. L’abstinence à six mois était ainsi plus fréquente dans les groupes « vapoteuse avec nicotine » (trois études) et « vapoteuse sans nicotine » (quatre études) que dans le groupe « substitution nicotinique », ou « avec soutien comportemental seul » (cinq études). En effet, sur 100 personnes utilisant la vape avec nicotine, 10 ou 11 deviennent abstinentes (sevrage tabagique), contre 6 sur 100 pour celles qui utilisent les substitutions nicotiniques ou la vape sans nicotine, et 4 sur 100 pour les personnes qui ne suivent aucun traitement ou ne bénéficient que d’un soutien comportemental.
Mais à l’inverse, vapoter quand on n’a jamais fumé risque-t-il d’inciter à essayer le tabac ?
Chez les jeunes, vapoter n’est pas synonyme de passage au tabac
Les données récentes de l’étude ESPAD 2019, que je détaillais récemment, indiquent quelles places respectives occupent le tabac et la vape dans les pratiques des jeunes Français et de leurs homologues européens.
La vape, quant à elle, attire davantage les garçons que les filles : 51 % des premiers se sont laissés tenter par l’e-cigarette, contre 41 % des secondes seulement des secondes, et 20 % des garçons ont vapoté au cours du dernier mois, contre 13 % des filles.
En 2017, j’avais également écrit que le vapotage n’est pas une porte d’entrée dans le tabagisme pour les jeunes. Si certaines études ont montré qu’il pouvait y avoir une association positive entre expérimentation de la vape et passage au tabac dans les pays anglo-saxons, ce lien causal n’est pas absolu.
En France notamment, cela ne semble pas être le cas, comme l’ont démontré plusieurs travaux, dont l’étude publiée fin 2020 par l’équipe de Stéphane Legleye. Effectuée auprès de 24 111 jeunes Français âgés de 17 à 18 ans, elle apporte plusieurs éléments forts et, pour une fois, spécifiques au contexte français :
• Commencer avec la vape ne signifie pas une augmentation du risque de fumer du tabac ultérieurement ; cela diminue même le risque de manière importante (avec un risque relatif, RR, de 0,58 ; on considère qu’un effet est bénéfique quand RR est inférieur à 1) ;
• Plus l’expérimentation de la vape est tardive, plus le risque de passage au tabagisme dans un second temps diminue (le RR passant de 0,88 pour une initiation à l’âge de 11 ans à 0,38 à l’âge de 17 ans).
Dans cette étude (ESPAD2019), basée sur des questionnaires autorapportés, 5 616 jeunes Français ont déclaré avoir expérimenté la vape en premier et 2 410 d’entre eux n’ont pas expérimenté le tabac dans un deuxième temps. Par contre, on ne sait pas s’il y avait de la nicotine et/ou des arômes lors de cette expérimentation.
Si le contexte culturel de chaque pays joue évidemment un rôle, à l’échelle mondiale on n’a pas observé d’augmentation du tabagisme chez les jeunes depuis l’arrivée de la vape sur le marché mondial – ce serait même le contraire. Or, retarder l’initiation au tabagisme est capital. Tout ce qui y contribue est à considérer.
Et si l’attrait des jeunes pour la vape s’accompagne du choix de ces produits sans monoxyde de carbone et chargé de beaucoup moins de substances toxiques, je dirai que c’est un moindre mal, tant le tabac est à l’origine de nombreuses maladies (cardio-vasculaires ou métaboliques, pulmonaires, nombreux cancers, etc.) et augmente le risque de décès. On parle de « réduction des risques pour la santé ». D’autant que bien souvent, il s’agira de vapoter sans nicotine ni substance addictive.
Femme enceinte : la vape est déconseillée
En 2020, le rapport d’experts « Prise en charge du tabagisme en cours de grossesse a été publié. Élaboré par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et la Société francophone de tabacologie (SFT), il déconseille le recours à la vape pendant la grossesse :
« Bien que le fœtus ne soit pas exposé aux toxiques
combustibles de la cigarette “classique”, d’autres recherches sont
nécessaires sur les autres composants de la cigarette électronique,
comme les arômes. En l’état actuel des connaissances, il convient de respecter le principe de précaution. »
On peut toutefois regretter que « vape, tabac chauffé, chicha et snus (tabac oral d’origine suédoise) » soient mis sur le même plan. Une étude menée en 2017 dans une maternité de Dublin (Irlande) permet d’aller plus loin et d’évaluer les effets du vapotage pendant la grossesse par rapport au tabac. Elle a suivi 449 femmes enceintes sur 13 mois, dont 195 vapo-fumeuses et 218 vapoteuses exclusives.
De ses résultats, publiés début 2020, il ressort une absence de conséquences sur le poids des enfants à la naissance chez les vapoteuses exclusives, à la différence de ce qui se mesure chez les vapo-fumeuses. En effet, le poids de naissance des bébés des vapoteuses est identique à celui des non-fumeuses (3470 ± 535 grammes vs 3471 ± 504 grammes), et supérieur à celui des enfants des fumeuses (3470 ± 535 grammes vs 3166 ± 502 grammes). Aucune différence n’est observée en termes de durée de grossesse et score d’Apgar (Apparence, pouls, grimace, activité, respiration) à la naissance et passage en unité de soins intensifs.
Les risques pour la santé
Petit rappel : la communauté scientifique s’accorde pour dire que les émissions des vapoteuses sont moins nocives que la fumée des cigarettes. En effet, l’aérosol de la vape ne contient pas les nombreuses substances chimiques irritantes, toxiques et cancérigènes de la fumée de tabac comme les goudrons ou le monoxyde de carbone (de 9 à 450 fois moins). Une étude publiée en janvier 2021 par l’Institut Pasteur a établi que « les aérosols générés par les cigarettes électroniques contiennent moins de 1 % des toxiques retrouvés dans la fumée de cigarette ».
Et on sait également qu’il n’y a pas, dans la vape, de combustion incomplète et par conséquent pas de monoxyde de carbone (CO). Ce gaz inodore et incolore se fixe sur nos globules rouges à la place de l’oxygène, et cela entraîne une augmentation de la pression artérielle et du rythme cardiaque.
Au Royaume-Uni, dès 2015, le ministère de la Santé écrivait ainsi que « la vape réduit les risques pour la santé de 95 % », en se référant au rapport du Public Health England, coordonné par les Professeurs Ann McNeill (King’s College London) et Peter Hajek (Queen Mary University of London), dont la dernière mise à jour date de février 2021.
Si la vape n’a pas la nocivité de la cigarette, est-elle pour autant sans risque ? Les données restent pour l’heure compliquées à obtenir.
L’une des principales raisons est que la majorité des vapoteurs sont des ex-fumeurs ou vapo-fumeurs : il est difficile, dès lors, de préciser ce qui pourrait être attribuable à la vape, étant donné la toxicité du tabac, à court, moyen et long terme. C’est ce que pointe Neal Benowitz, spécialiste mondial de la nicotine,, tout en rappelant que si la vape est moins nocive que le tabac, elle n’est pas sans risque.
Que penser de certaines publications scientifiques mentionnant un risque accru, chez l’animal, de cancer du poumon et de la vessie, ou évoquant des modifications de certaines cellules immunitaires (macrophages) ? Ou des travaux in vitro (sur des cellules en culture) montrant des modifications d’expression de certains gènes ? En 2015, une étude publiée dans Oral Oncology avait même montré une altération de l’ADN des cellules… Doit-on s’inquiéter de ces résultats ?
Se méfier des conditions expérimentales
Un point important à souligner est que les conditions expérimentales de ces études sont irréalistes. En outre, leur extrapolation à l’être humain est contestable.
Concernant par exemple l’étude de la revue PNAS mentionnant un risque accru de cancer du poumon et de la vessie chez la souris, il s’agissait de travaux menés sur quarante souris, exposées aux fumées de cigarette électronique pendant 54 semaines, soit un peu plus d’un an. Elles les respiraient quatre heures par jour, cinq jours par semaine, des conditions extrêmes qui n’ont rien à voir avec la réalité. De plus, la concentration de nicotine utilisée (36 mg/mL) est presque deux fois plus élevée que le seuil autorisé en France (20 mg/mL), et le nombre de souris dans l’expérience témoin est trop faible : d’où un risque de biais statistiques.
Pour le professeur Bertrand Dautzenberg, tabacologue et président de la commission de normalisation AFNOR sur les cigarettes électroniques, huit points doivent être présents à l’esprit devant de telles études :
1- L’e-cigarette ne produit pas de fumée : c’est une inexactitude scientifique qui permet de classer les articles partisans ;
2- Il faut analyser avec intelligence ces résultats : les rayons du soleil sont classés cancérogènes certains pour l’être humain… mais sont néanmoins bons pour la vie sur Terre ;
3- L’être humain n’est pas une souris : la plupart des études de cancérogénèse positives par inhalation chez la souris ne sont pas confirmées chez l’être humain ;
4- Les auteurs ne disent pas que cela cause le cancer, mais pourrait y contribuer, et invitent à conduire des études complémentaires ;
5- Les conditions d’expositions sont souvent farfelues ;
6- L’e-cigarette ne sera jamais conseillée par un médecin à un non-fumeur et 99 % des vapoteurs ont une histoire avec la cigarette. Ne pas prendre un contrôle négatif sans exposition et un contrôle positif est une erreur méthodologique majeure ;
7- Ces études peu rigoureuses se multiplient, ce qui pose la question de savoir qui a intérêt à publier autant de mauvaise science et pourquoi ;
8- Il ne faut analyser que les études ayant un design correct (comparaison avec la fumée de tabac).
L’e-cigarette n’est pas un gadget récréatif
Rappelons ici que le CDC américain (Centers for disease control – principale agence fédérale des États-Unis en matière de protection de la santé publique) recommande notamment aux adolescents et aux jeunes adultes d’en éviter l’usage.
Récemment, 15 experts antitabac de renom, anciens directeurs de la Society for Research on Nicotine and Tobacco, ont par ailleurs publié un article sur les risques et les bénéfices de l’e-cigarette. Ils y proposent une série de mesures pour limiter l’accès aux plus jeunes, comme taxer plus fortement les produits du tabac combustibles (et taxer à minima les produits de la vape), n’autoriser la vente d’e-liquides aromatisés qu’en boutiques uniquement accessibles aux majeurs.
Par ailleurs, la survenue, en 2019, de centaines de cas du syndrome EVALI (« E-cigarette or Vaping Use-Associated Lung Injury »), une maladie pulmonaire sévère liée à l’usage de e-cigarettes, souligne l’importance de l’origine et de la composition des e-liquides. Si des interrogations semblent demeurer sur les substances impliquées, ils auraient pu contenir du THC et du CBD (cannabinoïdes issus du cannabis), et avoir été achetés hors des circuits légaux.
Pour s’assurer que les liquides vendus respectent les doses légales de nicotine notamment, il faut acheter en boutique des produits de distributeurs français répondant aux normes AFNOR. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a de son côté établi une liste de référence inédite, référençant près de 1 200 substances identifiées. Elle envisage en outre d’évaluer les risques liés à l’inhalation de certaines substances.
Pour conclure, il est important de garder à l’esprit que la cigarette électronique n’est pas un gadget récréatif destiné aux non-fumeurs ou aux mineurs, mais bien un outil – efficace – visant au sevrage tabagique.
Remerciements au Pr Bertrand Dautzenberg pour ses commentaires pertinents.
Philippe Arvers, Médecin addictologue et tabacologue, Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.