L’utilisation du plastique comme contenant alimentaire ne cesse de progresser. « Pas de danger, juré, craché ! », nous promet-on. Un discours défensif que les scientifiques, eux, ont du mal à avaler.
Assiettes, verres, bouteilles, emballages, pots de yaourts, poches de cuisson… les contenants alimentaires en plastique colonisent nos frigos, nos cuisines, nos pauses-déjeuner… Difficile d’y échapper ! Dans un contexte où les scientifiques tirent la sonnette d’alarme et que la société civile regarde de plus en plus près les questions de santé environnementale, les contre-discours fleurissent de plus bel sur l’innocuité du plastique sur la santé.
« Il est pourtant reconnu de tous, même des industriels, que le plastique n’est pas un matériau inerte, ce qui signifie que les molécules chimiques contenues dans le plastique migrent dans le corps. Or ces molécules ont un impact biologique et leur toxicité est au-delà du doute raisonnable », estime Jérôme Santolini, chercheur bordelais en biochimie, responsable du laboratoire Stress Oxydant et Détoxication au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, co-auteur du livre « Pas de plastique dans nos assiettes », (Ed. Du Détour, août 2018). On sait aussi qu’avec la chaleur (cuisson au micro-onde, sous-vide dans de l’eau chauffée…), les risques de relargage de substances chimiques augmentent. Tout un chacun qui boit de l’eau contenue dans une bouteille plastique restée au soleil peut constater tout bêtement combien son goût est altéré par le polymère.
Il est également désormais bien reconnu que ces plastiques alimentaires contiennent nombre de ces fameux perturbateurs endocriniens mis en lumière dès le début des années 90 par les scientifiques. Avec des impacts potentiels sur le corps humain tels que puberté précoce, infertilité, troubles du comportement, obésité, cancers… Depuis 2002, l’Organisation Mondiale de la Santé a pointé leur nocivité sur le système hormonal et la fertilité des êtres humains et, l’un des plus connus de ces perturbateurs endocriniens, le Bisphénol A, est interdit depuis 2015 dans les contenants alimentaires en France. Mais il reste du chemin à faire. Cosignée par une centaine de scientifiques, la lettre « Halte à la manipulation de la science », publiée dans Le Monde en novembre 2016, montre un consensus scientifique très net sur l’impact de ces perturbateurs endocriniens, doublé d’un appel urgent auprès des élus pour protéger les plus vulnérables : les enfants et femmes enceintes.
« La réglementation le permet »
Pour autant, les discours défensifs persistent et s’appuient, comme argument clé, sur le respect de la réglementation et des normes européennes et françaises. Un discours que l’on a pu entendre, ici même à Bordeaux quand des parents d’élèves ont dénoncé la généralisation des assiettes en plastique dans toutes les cantines des écoles et l’usage, encore plus problématique, de poches de cuisson sous-vide à basse température pour réchauffer les plats. « Or, des tests sur ces contenants pourtant « aux normes » ont révélé la présence de deux molécules connues comme perturbateurs endocriniens, du Bisphénol A et des phtalates », indique Jérôme Santolini, impliqué dans le collectif « Cantine sans plastique » (1), qui à force de mobilisation, a obtenu l’adoption en septembre dernier d’une loi, qui programme la fin des barquettes en plastique dans les cantines scolaires d’ici 2025. Sur ce non-respect de la réglementation, l’étude récente de l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR) -l’équivalent d’Agence Française de Sécurité Sanitaire-, qui a mené l’enquête sur l’efficacité du règlement REACH 2007, est aussi édifiante. Son verdict : un tiers des substances chimiques les plus utilisées en Europe sont non conformes à la réglementation (Cf article du journal Le Monde).
« Garantie sans bisphénol A ou phtalates »
Dans le cas où ces molécules tels que Bisphénol A ou phtalates ont bel et bien été retirées de la fabrication, le problème n’en demeure pas moins. « Dans certains cas, les industriels les remplacent par d’autres molécules dont la structure est souvent quasiment la même, et dont la toxicité, mal évaluée, est souvent similaire », déplore Jérôme Santolini. « L’innovation dans le domaine de la pétrochimie va trop vite pour la réglementation avec des mises sur le marché sans véritable évaluation préalable, contrairement à l’industrie du médicament. On n’a donc aucune idée de la composition de ces soupes chimiques qui passent dans les aliments et notre corps. ».
Dans la préface de l’ouvrage « Pas de plastique dans nos assiettes », la fameuse professeure en biologie moléculaire Ana Soto, chercheuse à la Tufts University de Boston (2) estime que « plus de 8000 substances chimiques sont utilisées pour fabriquer des emballages alimentaires et d’autres articles en contact avec les aliments. Moins de la moitié de ces produits ont été testés de manière adéquate pour la toxicité chronique tandis que la quasi-totalité n’a pas été testée pour ses activités de perturbation endocrinienne. On ignore donc leur impact sur la santé lorsqu’ils sont ingérés quotidiennement tout au long d’une vie ».
Bah, ce sont de faibles doses…
Enfin, autre argument récurrent : « Bah, ce sont de faibles doses, la migration dans le corps est infime… ». Et là encore, les scientifiques mettent en garde contre la vieille logique de la « dose qui fait poison » et alertent sur l’effet cocktail, soit la démultiplication de toxicité de certaines substances lorsqu’elles sont mélangées ou s’ajoutent à d’autres. « Certaines études ont mis en avant que l’effet est même parfois plus important à faible dose qu’à dose moyenne. On n’est donc pas protégé par l’argument de faibles doses », selon Jérôme Santolini, qui estime que la communauté scientifique a joué son rôle en produisant au cours de ces dernières années un savoir « dont les pouvoirs publics doivent désormais s’emparer ».
(1) Composée de citoyens engagés pour la santé et la protection de l’environnement, l’association « Cantine sans Plastique France » réunit les collectifs mobilisés autour du plastique à la cantine, avec le soutien des parents d’élèves. Elle informe, sensibilise et agit sur les usages des plastiques à la cantine.
(2) Ana Soto est à l’origine de la découverte des liens entre cancer et perturbateurs endocriniens, notamment le Bisphénol A.
En savoir plus
ONG Chemtrust, reconnue par l’ECHA (European Chemicals agency) qui fait de la veille sur la réglementation et la toxicité des substances chimiques et notamment les risques sanitaires pour les contenants alimentaires.
Au niveau de la communauté scientifique, les principales recommandations sont les différentes déclarations de l’Endocrine Society, qui a même créé une Task force sur les perturbateurs endocriniens.
Les publications de nombreux scientifiques tels que Vom Saal ou Kortemkamp ou déclaration de Chapell Hill sur le BPA (consensus scientifique dès 2007).
Foodpackaging forum, ONG basée en suite plus spécifiquement dédiée aux contenants alimentaires, avec une série d’articles sur la toxicité des FCM/MDCA (matériaux destinées au contact alimentaire).
Marianne Peyri