On ampute ses heures de sommeil, on en oublie de manger, les relations avec son entourage se dégradent… Pourquoi certains glissent-ils vers un usage excessif ? Comment se retrouve-t-on incapable de résister à l’envie de jouer ?
1 Question à Marc Auriacombe, psychiatre-addictologue au pôle d’addictologie de l’hôpital Charles Perrens et du CHU de Bordeaux
« Les jeux vidéo sont source de plaisirs et de gratifications. Les êtres vivants sont motivés par la recherche de plaisirs. C’est normal. Quand quelque chose nous plaît, au début, on peut s’emballer et avoir tendance à l’excès. Notre mémoire se souvient alors du plaisir ressenti, mais aussi des effets néfastes : on en a oublié de manger, de dire bonjour, de sortir la poubelle…Lorsqu’on reconduit cette expérience, on va faire attention de ne pas revivre ces inconvénients, on s’autorégule.
Chacun d’entre nous possède un système de régulation complexe impliquant les systèmes de la mémoire, de l’action et de la décision- qui permet de réguler et de nous arrêter quand c’est nécessaire. J’apprends, j’ajuste, je fais attention.
Chez certaines personnes, malheureusement, ce système de contrôle se désorganise. Bien que la personne sache que cela va provoquer des dommages, elle va continuer à jouer. La personne est alors aux prises avec le phénomène dit de « craving », c’est-à-dire une envie irrésistible, anormale, qui se déclenche hors contexte et va la contraindre à faire usage.
Leur système d’autorégulation ne fonctionne plus
Chez ces personnes, il faut bien comprendre que ce système d’autocontrôle est cassé. Il ne fonctionne plus. Pourquoi ? Les causes, qui restent encore inexpliquées- sont multiples : génétiques, développementales -c’est-à-dire liées à une fragilité acquise au cours de la construction mentale-… Il semble aussi que plus on sollicite ce système de contrôle, plus il en serait fragilisé. Tous ces éléments se combinent.
Cette découverte du fonctionnement de l’addiction est assez récente. Auparavant, on avait tendance à l’expliquer surtout par des causes psychologiques préexistantes. Il arrive en effet que ces sources de plaisir apportent aussi un « effet correcteur » à un mal-être ou à un état d’anxiété déjà présent. Par exemple, les jeux vidéo peuvent constituer une échappatoire ou un refuge pour les personnes souffrant de phobie sociale. Ils vont ainsi lui permettre d’interagir avec d’autres personnes sans avoir d’interaction physique. Ici l’usage des jeux vidéo peut avoir des effets « réparateurs ». On parle d’autothérapie. Dans ces cas-là, le véritable problème n’est cependant pas l’addiction, mais la phobie sociale.
Si les fragilités psychologiques augmentent les risques, elle n’expliquent pas cependant tous les usages avec problèmes. Dans l’addiction, il y a un dysfonctionnement au niveau du système de contrôle de l’individu qui aboutit à l’expérience du « craving ». C’est comme si la pédale de frein (soit son système d’autorégulation) était cassé. Demander de « ralentir » ou de réduire le temps de jeux est alors sans effet… De même, punir n’a pas d’effet. Ce n’est pas non plus un manque de connaissances ni de motivations.
Repérer le craving et résister
La personne avec une addiction doit surtout arriver à prendre du recul en se faisant aider, car il est très difficile de s’arrêter seul. Grâce à une aide extérieure, tout un travail est entrepris pour aider à repérer le craving -à le conscientiser et le nommer-, lorsqu’il est encore faible et qu’il reste donc surmontable. Il s’agit de remettre un système de contrôle manuel, l’automatique ne fonctionnant plus. Peu à peu la personne voit alors qu’elle peut résister et reprendre le contrôle. Qu’importe d’ailleurs l’objet de l’addiction, le problème est en effet celui de la régulation de toutes les sources du plaisir ».
(*) Marc Auriacombe est également responsable de l’équipe addiction du Laboratoire SANPSY CNRS USR 3413 à l’Université de Bordeaux.
Propos recueillis
par Marianne Peyri