Tantôt relaxante, tantôt revigorante, on accorde à la musique beaucoup de vertus. Une analyse physiologique de notre perception de la musique est utile pour y voir plus clair et comprendre les disparités entre individus. Avoir la chair de poule, le rythme dans la peau, ou l’oreille fine : dès qu’il s’agit de musique et d’émotions, de vibrations, de rythmes, ou de fréquences, les opinions divergent et voici pourquoi
Chair de poule
Le quatrième mouvement du requiem de Mozart (Tuba Mirum) a la propriété de créer des piloérections, selon le terme scientifique désignant la chair de poule. Le morceau, d’une durée de 3 minutes, démarre avec un trombone ténor, instrument capable d’atteindre 80Hz dans les graves, qui se transforme subitement en une voix chantée très haut perchée. Ce changement inopiné de modulation de fréquence et le subito forte – augmentation soudaine du volume sonore – peuvent donner la chair de poule.
Les auditeurs sont plus ou moins sensibles et sujets à ces sensations, et les tests menés avec ce requiem font état d’une à cinq piloérections par minute pour certains, et de zéro effet chair de poule pour d’autres. Il a même été mesuré que les personnes en mal d’aventure et de sensations fortes avaient plutôt tendance à moins avoir la chair de poule.
Si vous ne disposez pas d’un abonnement à l’opéra, vous pouvez tenter ce test à la maison, à condition d’utiliser un matériel adéquat. La plupart des amplis du marché ne descendent pas plus bas que 20 Hertz, d’où le récent succès auprès de mélomanes de marques offrant un spectre acoustique plus large. La compression des fichiers musicaux est aussi à surveiller de près – seuls les formats haute définition peuvent prétendre rivaliser avec les vinyles ou un concert live.
Avoir le rythme dans la peau
Certains ont vraiment la musique dans la peau. En plus de récepteurs auditifs situés dans l’oreille interne, notre corps est plus ou moins couvert de récepteurs sensibles aux vibrations. Les corpuscules de Pacini par exemple, situés dans le derme et l’hypoderme, perçoivent les vibrations aux alentours de 250 Hertz – l’équivalent d’un do central au piano (alias « le do de la serrure », car en face de la serrure du piano) ou du ronronnement d’un moteur V8. Les corpuscules de Meissner sont quant à eux sensibles aux vibrations très basses – entre 10 et 50 Hertz (Marieb, 2015). Maintenant vous savez qu’ écouter un morceau comme Rammstein Du hast avec des fréquences comprises entre 50 et 250 Hertz et un peu comme une visite chez le masseur…
Les plus accros aux vibrations sont même allés jusqu’à retourner leur iPhone 6 à Apple, car il ne vibrait pas suffisamment fort – la marque a rectifié le tir depuis. Ils n’hésitent pas non plus à télécharger des ronronnements de moteur pour leur Tesla.
Au même titre que les perroquets, les éléphants d’Asie, où les lions de mer californiens, l’être humain à la capacité à battre la mesure car il anticipe de manière précise le battement suivant. Nous avons tous une horloge interne – avec un battement par seconde pour les chevaux et cinq battements par seconde pour les rats – mais son tempo varie entre individus.
Nous avons tous tendance toutefois à préférer un tempo proche de notre horloge interne. Le tempo préféré moyen est aux alentours de 133 battements par minute, plus ou moins 30 %. Il semblerait que percevoir clairement son propre pouls aiderait à garder le rythme. Les amateurs d’arts martiaux savent combien le rythme est propre à chaque individu. En aïkido par exemple, contrer l’autre va passer par l’analyse de son rythme, puis des rythmes concordants, discordants, et contrariants que l’on peut adopter. Les musiciens le savent bien aussi, tout le monde n’a pas un métronome dans la tête. Les goûts musicaux prennent en compte le tempo et la régularité du rythme – certains morceaux de Bach ou de jazz vont ainsi irriter les auditeurs sensibles aux rythmes discordants.
Avoir l’ouïe fine
Le son est une vibration ; le nombre de vibrations par seconde d’un son est appelé fréquence et s’exprime en Hertz (Hz) : un bébé qui pleure peut atteindre une fréquence aussi élevée que 6 kHz, une Harley-Davidson une fréquence aussi basse que 50 Hertz, et une montre de luxe de 1 à 8 Hz en fonction du mécanisme et de la finition. Le son peut-être mesuré en termes d’intensité et exprimé en décibels (dB) : une voiture traditionnelle va émettre autour de 45 dB et une Harley-Davidson peut atteindre les 80 dB. Certains signaux comme les ultra-sons ne peuvent pas être entendus par l’oreille humaine, même si des disparités fascinantes ont été mesurées entre individus.
Les cellules ciliées qui tapissent notre oreille interne transforment les signaux sonores – et donc la musique – en influx électrique. Mais voilà, en fonction de leur nombre et de leur répartition par type de fréquence, notre oreille sera plus ou moins fine. Les individus qui amplifient moins les basses ont tendance à mettre les basses à fond. Ceux qui entendent toutes les fréquences plus fort que la voix, peuvent avoir besoin de s’isoler pour entendre pleinement. Et enfin ceux qui ont la chance ou la malchance d’avoir une oreille très fine, vous percevoir tous les bruits même lointains, et sont plus susceptibles d’être irrités par les aigus.
Baleines, éléphants, rhinocéros et tigres peuvent produire des sons en – dessous de 20 Hz : ces infrasons peuvent traverser les murs, les forêts touffues, et même les montagnes. Un tigre qui rugit aux alentours de 18 Hz va même paralyser sa proie (American Institute of Physics, 2000). C’est pourquoi les ultrasons sont maintenant utilisés comme armes soniques. Détendu·e·s, nous émettons des vibrations entre 1 et 7 Hz, et même en dormant, nous émettons des vibrations et des ondes via notre cerveau. Notre voix chantée est toutefois moins sophistiquée que celle des chevaux, qui émettent simultanément deux fréquences – l’une traduisant la valence de leur propos (à savoir si l’intention est négative ou positive), et l’autre véhiculant l’intensité de l’émotion. À bon entendeur, un cheval mécontent va hennir plus longuement dans les aigus.
La musique n’a pas fini de nous faire vibrer, mais elle agit sur nous tous d’une manière différente, jouant sur notre perception des vibrations, notre amplification des fréquences, et notre sens du rythme.
Diana Derval, Chair of DervalResearch, Author, and Lecturer in Neurosciences, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.