Né aux États-Unis chez les libertariens en réponse à l’obligation du port du masque dans les lieux publics, le mouvement des anti-masques s’est étendu, au fil des mois, à un grand nombre de pays dans le monde, dont la France.
Alors que la grande majorité des citoyens voit le port du masque comme un moyen efficace de limiter la propagation du virus, pourquoi la mouvance anti-masque rejette-t-elle cette mesure ?
Complotisme
Un grand nombre de médias ont mis en avant le lien entre conspirationnisme et rejet du port du masque. Une récente étude française a montré que les individus qui rejettent le masque adhèrent plus fortement aux thèses conspirationnistes que l’ensemble de la population française. 90 % des anti-masques (contre 43 % sur l’ensemble de la population française) pensent par exemple que le ministère de la Santé s’est allié aux compagnies pharmaceutiques pour cacher la nocivité des vaccins.
Les anti-masques sont très actifs sur les réseaux sociaux où un grand nombre de fake news sur le port du masque ont été activement relayées. D’après eux, le masque serait inutile, voire même carrément dangereux pour la santé. Inutile car le maillage ne serait pas adapté et laisserait passer le virus. Dangereux car il diminuerait l’apport d’oxygène dans le sang, augmenterait l’inhalation de toxines, détériorerait le système immunitaire ou activerait des rétrovirus dormants déjà présents dans l’organisme. C’est évidemment faux comme l’explique en détail cet article de l’AFP.
D’autres vont encore plus loin. Le port du masque serait « un rituel des pédo-satanistes » comme le prétend par exemple Eve Engerer, récemment radiée de l’Ordre des médecins, ou le groupe QAnon. Mais comment expliquer qu’un nombre non négligeable de personnes (indépendamment de leur niveau d’éducation) soient à ce point sensibles aux fake news sur le port du masque ?
La tête dans le sable
La situation incertaine dans laquelle nous nous trouvons depuis plusieurs mois nous a amenés à développer différents mécanismes de défense qui nous permettent de continuer à évoluer dans notre environnement, malgré la crise sanitaire. Un de ces mécanismes de défense est l’effet autruche, qui désigne la tendance à mettre la « tête dans le sable » dans le but d’ignorer des informations décrivant une situation incertaine ou dangereuse.
À plusieurs reprises, on a pu entendre des anti-masques expliquer qu’ils rejetaient cette mesure sanitaire car ils trouvaient que voir toutes les personnes autour d’eux porter un masque était « anxiogène ». À la différence de la majorité des citoyens que le port du masque rassure, il est pour les personnes qui ont tendance à faire l’autruche, un rappel permanent de la potentielle dangerosité de la situation actuelle. Il devient alors impossible d’ignorer la crise sanitaire et d’échapper au stress qu’elle engendre.
Pour ne rien arranger, on ne fait pas seulement l’autruche de manière consciente. La forme inconsciente de l’effet autruche se manifeste souvent quand un évènement remet en question l’image positive qu’un individu se fait de lui-même. Ce dernier aura alors tendance à ignorer ou même rejeter les informations qui risquent de blesser son égo, afin de maintenir une image flatteuse de lui-même. L’adhérence aux fake news et autres théories du complot apparaît comme un moyen efficace pour un « individu-autruche » de justifier son rejet du masque, tout en préservant son égo. Il ne rejette pas le masque parce qu’il est terrifié par la pandémie, mais parce qu’en tant qu’individu supérieur il sait, mieux que la plupart des gens, que les masques ne sont pas efficaces, sont dangereux pour la santé, ou encore que le SARS-CoV-2 n’existe tout simplement pas.
La réactance psychologique
Un autre phénomène pourrait expliquer le rejet du masque. Un grand nombre d’études ont montré que lorsqu’un individu a l’impression que l’on menace ou que l’on restreint ses libertés individuelles, il aura tendance à s’opposer à cette perte de liberté et à tenter d’asseoir son autorité en adoptant le « comportement défendu ». Ce comportement étudié depuis presque une cinquantaine d’années porte le nom de réactance psychologique.
Chez les anti-masques, l’obligation du port du masque est vue comme une atteinte intolérable à leurs libertés individuelles de la part du gouvernement qui tenterait de les « museler ».
La contestation sociale était déjà très forte avant le début du confinement (gilets jaunes, personnels soignants, écologistes entre autres) et la crise sanitaire n’a fait qu’exacerber ce mécontentement qui ne peut plus du tout, ou plus difficilement, s’exprimer du fait de la pandémie. Le refus du port du masque apparaît comme un moyen détourné d’exprimer sa colère et de contester le gouvernement.
L’étude française sur les anti-masques, déjà citée précédemment, a d’ailleurs montré que seul 2 % des anti-masques font confiance à Emmanuel Macron. Ils sont par contre 87 % à soutenir le Pr. Raoult, grande figure contestataire qui n’a eu de cesse de remettre en question les mesures prises par le gouvernement depuis le début de la crise, y compris celles concernant l’obligation du port du masque. Il a été montré que plus un individu est en colère, plus sa perception du risque diminue. Les personnes qui rejettent le masque par réactance psychologique sont donc probablement moins conscience du risque que cet acte représente car ils sont partiellement aveuglés par la colère.
Que faire ?
Rappelons-le, plusieurs études récentes ont montré que le port du masque permettait de limiter significativement la transmission du virus. De même, l’obligation du port du masque dans la plupart des grandes villes aurait largement contribué à faire diminuer le nombre de cas graves.
Aux vues de ces résultats, il parait donc nécessaire de développer des stratégies visant à contrer ces phénomènes d’effet autruche et de réactance psychologique afin d’augmenter l’acceptation du port du masque.
Il est possible de limiter l’occurrence de la réactance psychologique en adoptant un discours fort, clair et pédagogique. Or la communication du gouvernement sur le port du masque a été on ne peut plus chaotique et a eu de graves répercussions tant sur la confiance des Français envers les dirigeants politiques, que sur la propension de ces premiers à respecter des normes sanitaires émanant du pouvoir exécutif. Il faudrait que le gouvernement fasse preuve d’un trésor de pédagogie pour restaurer la confiance des citoyens. La seule option restante est probablement (malheureusement) de fortement pénaliser le refus du port du masque.
En tant que citoyens, nous pouvons nous aussi à notre échelle tenter de lutter contre ces deux phénomènes, qui risquent de se renforcer lorsqu’un vaccin contre la Covid-19 sera mis à disposition. Une stratégie pour limiter la réactance psychologique pourrait être de chercher à dissocier l’obligation du port du masque du gouvernement, en présentant par exemple les preuves scientifiques de son efficacité de manière claire et accessible, ou en proposant des comportements « alternatifs » et moins risqués de réactance psychologique.
Il est probable qu’il soit plus ardu de lutter contre l’effet autruche, tout particulièrement lorsqu’il s’exprime de manière inconsciente. Les individus-autruche étant à la fois très stressés et extrêmement motivés à protéger leur égo, il est nécessaire de faire preuve de beaucoup patience et de bienveillance à leur égard et de se garder de remettre en question leur intelligence, leur rationalité ou leur niveau de connaissances. Commencer la discussion en faisant part de notre propre peur de la crise sanitaire pourrait permettre de mettre la personne en confiance, ce qui facilitera la discussion par la suite.
Enfin, essayez d’adopter des arguments susceptibles de convaincre la personne que vous avez en face qui a son propre système de valeurs (probablement différent du vôtre) et non pas des arguments qui vous convainquent vous-même comme le conseille Robb Willer dans son TED talk.
Créé en 2007 pour contribuer au développement et au partage des connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, l’Axa Research Fund a parrainé près de 650 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs de 55 pays. Pour en savoir davantage, consultez son site ou abonnez-vous au compte Twitter dédié @AXAResearchFund
Eve Fabre, Chercheure en Facteur Humain & Neurosciences Sociales, AXA Fonds pour la Recherche
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.