Les mesures de confinement strictes imposées en France entre mi-mars et mi-mai 2020 ont conduit de nombreux pères avec un nouveau-né à passer bien plus de temps à leur domicile qu’ils ne l’avaient prévu (environ 110 000 naissances sur la période)
Pour eux, et tout particulièrement pour ceux au chômage partiel, l’expérience du confinement a pu se rapprocher de celle d’un congé de paternité de deux mois.
Deux mois, c’est quatre fois plus que les deux semaines habituellement destinées aux pères en France. L’Hexagone permet en effet aux pères de prendre trois jours de congés de naissance et onze jours consécutifs de congé paternité utilisables jusqu’aux quatre mois de l’enfant – week-ends et jours fériés inclus. La réforme annoncée récemment par le gouvernement – et qui entrerait en vigueur en juillet 2021 – devrait permettre de doubler les nombres de jours attribués aux pères.
Pour une partie de ses défenseurs, la réforme permettrait de mieux répartir les charges familiales occasionnées par l’arrivée des enfants sur les carrières professionnelles des mères et des pères.
Le confinement, déjà un allongement du congé paternité
Pour les parents qui ont connu une naissance au printemps 2020, le confinement s’apparente à une expérience de ce que pourrait être l’allongement du congé de paternité en France. Comprendre comment les pères avec un nouveau-né ont vécu le confinement et ce qu’ils ont fait durant cette période offre des pistes pour repérer les potentiels effets d’une telle réforme.
Dans cet objectif, nous avons conduit des entretiens approfondis auprès de pères ayant connu une naissance juste avant ou pendant le confinement (de mi-février à mi-avril), dans le cadre d’une recherche sur le congé de paternité.
Nous nous concentrons ici sur le cas de sept pères pour qui l’activité professionnelle fut très fortement réduite (3) voire totalement arrêtée (4). Ce petit échantillon permet d’explorer de manière fine leurs différents vécus. Exerçant des métiers diversifiés (cuisinier, électricien, chef de chantier, ingénieur, cadre de la publicité, réceptionniste d’hôtel, instituteur), leurs témoignages nous donnent de premières indications sur comment s’est passé l’accueil d’un enfant dans un tel contexte.
Confiné avec bébé : une chance dans son malheur ?
Vivre une naissance au cœur de la pandémie n’est pas une expérience à idéaliser. Le moment de l’accouchement, en particulier, fut compliqué par la restriction des visites à la maternité. La plupart du temps, les pères interrogés n’ont été autorisés qu’en salle de naissance et pour les deux premières heures de vie de l’enfant.
L’absence de proches a pu contribuer à faire vivre un fort sentiment d’isolement aux mères, en particulier celles incapables de se déplacer pour communiquer leurs douleurs et inquiétudes à un personnel médical très occupé.
Après la naissance, beaucoup furent obligées de prendre en charge leur nourrisson sans leur conjoint durant les trois à cinq jours à la maternité alors qu’elles se remettaient à peine de leur accouchement. Du côté des pères interviewés, la séparation avec leur enfant quelques heures seulement après sa naissance a pu être vécue comme une véritable épreuve.
Si les pères ont évoqué les inquiétudes et la fatigue accumulée par leurs conjointes liées à leur absence à la maternité, ils ont d’un autre côté souligné les aspects positifs du confinement une fois l’enfant au domicile.
Malgré leurs potentielles préoccupations sanitaires et financières, ils ont insisté sur la manière dont leur présence au quotidien leur a permis de profiter de leur nouveau-né en le voyant grandir au jour le jour à un âge où l’enfant change très rapidement.
Pierre, chef de chantier dont l’activité se réduisit à 2 heures par jour, déclare ainsi que le confinement fut :
« une chance… si on peut dire. Ça m’a permis de le voir s’éveiller, de passer des moments avec lui qui auraient été impossibles autrement ».
Une présence accrue qui favorise l’investissement auprès du bébé
La présence renforcée des pères a pu faciliter l’accueil du nouveau-né et le repos de leur partenaire. En particulier, le confinement a donné la possibilité aux interviewés de « vivre au rythme du bébé », c’est-à-dire de calquer l’organisation quotidienne (sommeil, tâches du quotidien…) aux besoins et appels du bébé.
Cette liberté dans le contrôle du temps s’est révélée avantageuse dans la gestion de la fatigue, les nuits pouvant être éprouvantes pour les parents avec un nourrisson se réveillant toutes les trois ou quatre heures. Souvent, la nécessité de préserver le sommeil du père parce qu’il travaille est une raison évoquée pour expliquer la plus grande implication des mères dans les tâches parentales nocturnes. En l’absence d’activité professionnelle, les parents purent davantage se relayer la nuit.
Pour certains pères interrogés, vivre de près les premiers moments du bébé amène d’ailleurs à une meilleure prise de conscience de l’ampleur du travail de soins et de la disponibilité nécessaire aux nouveau-nés, comme pour Rayane :
« Tu restes plus longtemps, donc tu vois ce que sont les galères pour se lever le soir, que tu ne peux même pas faire ta douche tranquille… »
L’investissement des pères dans les tâches familiales a pu être d’autant plus renforcé que certains couples se sont retrouvés coupés d’aide extérieure.
Les mesures de distanciations sociales ont pu empêcher la venue de proches (souvent des femmes qui ont déjà eu un enfant) initialement prévue pour aider les premiers temps dans l’apprentissage des tâches parentales et la gestion des tâches domestiques. En l’absence de la (belle) mère, (belle) sœur ou de l’amie, certains pères interrogés ont donc pris la relève.
Ce que veut dire – et ne veut pas dire – « être présent »
La plupart des pères interrogés ont spontanément associé le confinement à un congé de paternité étendu. La majorité manifeste une certaine fierté à être restés avec leur enfant durant ses premiers mois, comme Christophe qui remarque : « j’ai fait plus fort que les Suédois ! » (en Suède les pères doivent prendre un congé d’au minimum 60 jours, extensibles jusqu’à 480 jours).
Ces réactions révèlent les attentes sociales qui les entourent. Être un bon père, c’est selon leurs mots « être présent » pour l’enfant. En ce sens, faire une coupure professionnelle de deux mois pour l’arrivée du bébé est socialement valorisant.
« Être présent » peut néanmoins revêtir des significations très différentes. Pour deux interviewés, il s’agit expressément d’accomplir les tâches parentales autant que leur partenaire.
Pour les autres, l’importance de la présence paternelle réside plus généralement dans l’idée de faire partie du quotidien de l’enfant pour nouer un lien. Dans ces derniers cas, les pères se considèrent comme des « seconds » ou des « suppléants » qui aident leur conjointe à s’occuper du bébé.
Pour ces pères, l’état de fatigue de leur conjointe lié à l’accouchement requière qu’ils fournissent des efforts exceptionnels dans l’accomplissement des tâches domestiques quotidiennes et la prise en charge du nouveau-né. Ils inscrivent plutôt cet investissement dans une logique temporaire et circonstancielle que dans une routine durable.
En effet, les mères posséderaient selon ces pères une compréhension innée et inégalable des besoins de l’enfant, expertise face à laquelle ils se positionnent en solution de secours. Pour Robin par exemple, sa compagne s’occuperait davantage des « tâches essentielles » (liées au soin de l’enfant) du fait de son « instinct maternel », tandis que son rôle de père consisterait d’abord à s’investir dans les jeux.
La manière dont les pères dirigent leur investissement parental prioritairement dans les activités ludiques ou récréatives est un résultat bien établi en sociologie.
Des imaginaires forts toujours présents
L’expérience du confinement n’apparaît pas avoir automatiquement bouleversé cette logique. Ainsi, tous les pères interrogés n’ont pas investi de la même manière le temps libéré par le confinement en fonction de leurs croyances et de leurs représentations sociales préalables sur les rôles que doivent jouer femmes et hommes.
En levant les barrières structurelles restreignant la présence des pères dans les premiers mois de l’enfant, le confinement a esquissé comment l’allongement du congé de paternité pourrait être une première étape vers plus d’investissement des hommes dans les tâches parentales et faciliterait l’accueil du bébé.
Dans le même temps, les témoignages montrent aussi que le confinement n’a pas systématiquement remis en cause les représentations de la mère comme principale responsable de l’enfant, laissant entrevoir les potentielles limites de l’allongement du congé à un mois du point de vue de l’égalité femmes-hommes.
Alix Sponton, Doctorante en sociologie, INED, Sciences Po – USPC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.