Aujourd’hui, de nombreux fleuves sont pollués en anti-microbiens et de nombreux pays concernés par des taux inquiétants de résistance à ces médicaments. Les Pyrénées n’échappent pas au phénomène. Un programme européen de coopération transfrontalière Poctefa lutte contre en concevant des technologies innovantes pour éliminer ces polluants
Les antibiotiques sauvent des millions de vies mais contaminent aujourd’hui deux tiers des fleuves du monde. En effet, selon une étude la plus vaste sur le sujet menée par des chercheurs de l’Université de York (Toronto, Canada) sur six continents et 72 pays, 65 % des 711 sites testés contiennent au moins un des 14 antibiotiques recherchés. Et ce, avec parfois des concentrations jusqu’à 300 fois supérieures au niveau de sécurité comme au Bangladesh. Or cette pollution contribue au problème croissant d’antibiorésistance* et menace les organismes aquatiques et la biodiversité.
Des antibiotiques à usage humain et liés à l’élevage
Les eaux du territoire Poctefa, qui regroupe l’ensemble des départements et des provinces situés à proximité de la frontière franco-espagnole et de l’Andorre, ne sont pas épargnées. L’équipe de recherche du projet « Outbiotics » a réalisé quatre campagnes d’échantillonnage d’eau de rivière en 2018 et 2019.
Les résultats sont éloquents : « Nous avons pu détecter dans certains échantillons des teneurs en antibiotiques allant jusqu’à un microgramme par litre, en particulier pour l’enrofloxacine, la sulfadiazine et l’azithromycine – des médicaments utilisés chez l’homme, le bétail et la volaille -, dans plusieurs rivières des deux côtés de la frontière, français et espagnol », indique Joanna Szpunar, ingénieure de recherche à l’Institut des sciences analytiques et de physico-chimie pour l’environnement et les matériaux (IPREM) à Pau, et co-responsable du projet transfrontalier Outbiotics.
« Le problème n’est pas tant la toxicité des antibiotiques que leur effet « cocktail » qui renforce les effets nocifs de chaque substance et/ou produit des effets inattendus, et amplifie l’antibiorésistance », souligne la chercheuse.
Le territoire de Poctefa (français et espagnol) est un grand producteur de porcs et de poulets. « Les exploitations utilisent des antibiotiques, parfois à des concentrations relativement élevées, Par conséquent, les eaux usées de la ferme contiennent souvent des antibiotiques et leurs métabolites. Il existe également une pollution due à l’utilisation d’antibiotiques dans la santé humaine : on en détecte des niveaux d’une certaine importance dans les eaux usées des grandes villes et à proximité des grands hôpitaux », explique Joanna Szpunar.
Un prototype pour éliminer les antibiotiques des eaux usées espagnoles
Le projet « Outbiotics » vise à mettre au point des technologies innovantes pour mesurer, prévenir et éliminer ces polluants émergents dans les eaux du territoire Poctefa.
Les scientifiques étudient actuellement trois types différents de techniques d’élimination des antibiotiques à l’échelle du laboratoire et en situation réelle : des méthodes catalytiques au dioxyde de titane, d’autres de photocatalyse qui utilisent également le dioxyde de titane et enfin le recours à des oxydants comme le ferrate de potassium.
« Les deux premières technologies sont déjà très avancées. Le but du projet est de les commercialiser. Nous sommes passés au stade de pilote semi-industriel, utilisé par la société espagnole Nilsa du traitement des eaux usées », précise Joanna Szpunar.
Par ailleurs, l’équipe franco-espagnole travaille aussi au développement de nouveaux types d’agents antimicrobiens, mélanges d’antibiotiques à faibles doses avec des nanomatériaux à base d’argent ou autres, pour l’élevage afin de réduire la présence des antibiotiques dans l’eau et l’environnement. Ils étudient notamment les traitements antibactériens à base de nanoparticules d’argent, déjà employées dans l’industrie agroalimentaire (emballages…), textile (vêtements de sport…) et cosmétique. Mais ces dernières peuvent aussi nuire à l’environnement aquatique et terrestre.
Florence Heimburger
*Le rapport AMR Review sur la résistance aux antimicrobiens, paru en 2016 (https://amr-review.org/sites/default/files/160525_Final%20paper_with%20cover.pdf), estimait que d’ici 2050, si aucune mesure n’est prise, le nombre de décès liés à la résistance aux antimicrobiens pourrait atteindre 10 millions par an dans le monde, soit plus que le cancer. A ce coût en vies humaines, il faut ajouter un coût économique cumulé de 100 000 milliards de dollars en terme de production mondiale d’ici à 2050, soit plus que la taille de l’économie mondiale.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.