Entretien avec Saan Heckmann, sexothérapeute et conseillère conjugale à Pau. Diplômée d’un DIU en sexologie de la faculté de médecine Paris Diderot, spécialiste des questions sur les constructions sociales de genre, elle explique à Curieux d’où vient cette idée reçue qui est même une injonction pour les femmes
- 1- Les femmes, contrairement aux hommes, ont-elles besoin d’être amoureuses pour avoir des rapports sexuels ?
- 2 – A quel point ces stéréotypes influencent-ils les rapports sexuels et de couple ?
- 3- Les images pornos, plus répandues aujourd’hui, ne bousculent-elles pas ces constructions sociales ?
- 4- Ces stéréotypes n’ont-ils pas tout de même un peu évolué ?
- 5- De quoi au fond les femmes ont-elles besoin ?
1- Les femmes, contrairement aux hommes, ont-elles besoin d’être amoureuses pour avoir des rapports sexuels ?
Saan Heckmann : C’est évidemment un stéréotype. Cela ne correspond pas à quelque chose de notre nature. Les femmes ont autant de désirs que les hommes et peuvent autant aimer la sexualité, mais socialement, cela reste encore difficile à assumer et revendiquer. Que la femme doive être amoureuse est toujours une attente sociale assez forte. On le voit lorsqu’une jeune fille commence sa vie affective et sexuelle, on lui demande encore si elle est « vraiment sûre », « vraiment prête ».
Si elle se permet d’avoir plusieurs partenaires, elle va toujours être taxée de « fille facile » ou pire. Inversement, les garçons, eux, doivent montrer qu’ils sont actifs sexuellement pour démontrer leur hétérosexualité (ils ont encore à prouver qu’ils ne sont pas gays), qu’ils aiment les femmes mais pas au sens « être amoureux », sous peine d’être considérés comme un gars fleur bleue, qu’on mènerait par le bout du nez… Ces schémas sont encore très ancrés.
2 – A quel point ces stéréotypes influencent-ils les rapports sexuels et de couple ?
Saan Heckmann : A l’adolescence, on se construit avec ces stéréotypes et on devient un peu ce qu’on attend de nous. On voit comme le premier rapport sexuel est encore sacralisé avec l’idée de perte de virginité, des attentes fortes qui vont d‘ailleurs souvent conduire à des déceptions.
Je reçois aussi beaucoup de femmes qui vivent leur sexualité souvent comme une espèce de monnaie d’échange contre de l’amour, quelque chose qu’elles doivent donner, face à des partenaires parfois de mauvaise humeur s’il n’y a pas de rapport sexuel. Dans ces cas-là la sexualité, pour les femmes, c’est acheter la paix sociale et elle n’a rien d’émancipateur.
Pour les femmes, il ne faut pas tomber non plus dans l’inverse qui serait qu’il faut absolument avoir une sexualité pour être heureuse ou avoir à chaque rapport un orgasme pour être épanouie. Il peut y avoir aussi beaucoup de souffrance chez les hommes à qui il est demandé de ne pas exprimer ses sentiments et d’être tout le temps « performant ». Ces représentations façonnent et enferment les individus, elles piègent un peu tout le monde.
« Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’amour qu’il n’y a pas de vraies relations, des attentions, du respect. «
3- Les images pornos, plus répandues aujourd’hui, ne bousculent-elles pas ces constructions sociales ?
Saan Heckmann : Non, cela alimente les mêmes schémas. Soit on est dans une relation où on s’aime, soit dans une relation, celle du porno, où il n’y a pas beaucoup de respect. Cela peut inquiéter les filles. Elles peuvent se dire qu’il faut faire la même chose pour plaire. Or, les femmes peuvent faire le choix de relations sexuelles pour le sexe, par plaisir de découvrir des corps, de faire des expériences mais cela n’a rien à voir avec ce qui se passe dans le porno où on est davantage dans de la consommation du corps et rarement dans une recherche de vraies relations.
Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’amour qu’il n’y a pas de vraies relations, des attentions, du respect. L’amour, ce n’est pas forcément l’Amour pour toute la vie. Les femmes, ont-elles besoin d’aimer ? Non, elles ont surtout besoin qu’on arrête de les prendre pour des bouts de viande.
4- Ces stéréotypes n’ont-ils pas tout de même un peu évolué ?
Saan Heckmann : Il y a heureusement aujourd’hui dans certaines parties du monde une progression de cette liberté de revendiquer et d’exercer une sexualité active pour du sexe. Mais cela demande aux femmes d’avoir pris du recul sur ces images imposées, d’avoir lu, réfléchi à ces questions, rencontré aussi des partenaires qui ont pu proposer une sexualité différente ou d’avoir acquis une certaine maturité.
C’est le cas par exemple pour des femmes, qui ont été très jeunes en couple et qui, après une séparation, réinvestissent leur sexualité de façon différente, dans quelque chose de l’ordre du loisir, de la séduction, dans vivre le moment présent.
5- De quoi au fond les femmes ont-elles besoin ?
Saan Heckmann : On ne peut pas faire de généralité mais je crois quand même qu’on a des modèles actuels très phallocratiques et hétéro-centrés, une sexualité très pensée pour les hommes. On est encore beaucoup, malheureusement, sur un menu type : préliminaire, pénétration en plat principal, éjaculation et c’est terminé.
C’est quelque chose dont beaucoup de femmes aimeraient bien sortir et voir évoluer vers des pratiques sexuelles qui donnent du plaisir aux femmes mais qui ne sont pas forcément la pénétration. Cela ne veut pas dire qu’elles sont fleur bleue et attendent juste des petits bisous. Non, les femmes aiment avoir des orgasmes. Il faut aussi remettre un consentement qui n’est pas juste un « oui » ou un « non » mais parler, dialoguer à deux, s’interroger sur ce qui procure du plaisir et ce qui est favorable.
Ce dont les femmes ont besoin, c’est avoir un regard bienveillant, être dans un rapport sécurisant où elles savent qu’elles peuvent se permettre des choses et que la sexualité soit vue comme un partage et non pas comme un but. Ce qui est au centre des préoccupations, c’est d’être dans une relation équitable et de trouver, au-delà des idées reçues, la sexualité qui lui convient.
Propos recueillis par Marianne Peyri
Avec le soutien du ministère de la Culture