L’intuition est censée être féminine. Mais pour autant, à quelle réalité répond-elle ? Si tout le monde en parle, c’est pourtant une légende urbaine. Cela vient surtout de la manière dont on considère les femmes
Spoiler alert : l’intuition féminine ne répond à aucune réalité ! Autant se débarrasser de l’affaire d’entrée pour ne pas perdre de temps avec ça : l’intuition féminine n’existe que dans les mauvais polars. C’est un test britannique de 2005 mené par Richard Wiseman (en français « homme sage », ça ne s’invente pas) de l’université du Hertfordshire qui est venu battre en brèche cette histoire d’intuitivité supérieure des femmes. Le chercheur est connu pour ses travaux sur les réalités derrière les croyances et le paranormal.
L’étude de Richard Wiseman porte sur 15 000 sujets, hommes et femmes. En préambule, 77% des femmes déclaraient être intuitives contre 58% des hommes. Il s’agissait d’arriver à discerner un sourire sincère d’un sourire forcé sur des photos. A l’issue du test, 72% des hommes et 71% des femmes avaient vu juste. C’est parlant mais un peu juste pour venir à bout de 4 000 ans de légendes sur le sujet.
D’Aristote à Bourdieu, deux visions opposées
Mais alors d’où vient cette supposition ? De la manière dont on considère les femmes ? Que ce soit en bien ou en mal. Déjà, Aristote pensait que la femme était plus sujette à ses émotions. Kant a repris la chose en estimant que le principe de la femme est plus de ressentir que de raisonner. Et ainsi de suite jusqu’à ce que Pierre Bourdieu pense qu’estimer que les femmes sont plus intuitives est un témoin de domination masculine dans une société qui valorise davantage le rationnel. Il faut chercher aussi du côté de l’évolution : davantage chargée de l’éducation du jeune enfant, la femme aurait développé une capacité à décrypter les besoins exprimés non-verbalement par les bébés.
Bref, tout un faisceau d’indices diffus qui ne sont corroborés par aucune « capacité innée » que l’on aurait cherché. Et comme pour d’autres choses, la pression (ou l’ambiance générale dans ce cas) sociale conforte ou crée des manières de faire qui n’ont aucune base. Supposée plus instinctive, la femme écoute davantage son instinct que l’homme. Et il ne ment pas souvent (l’instinct, bien sûr…). Là, ce sont d’autres études qui l’ont démontré. L’intuition fonctionne comme une gigantesque base de données archivant des expériences passées que le cerveau scanne à toute vitesse pour y pêcher une situation analogue à celle pour laquelle on fait appel à elle.
L’intuition scannée par l’imagerie médicale
Une étude allemande a été menée en ce sens en 2011 sur des joueurs d’échec. L’imagerie médicale a montré que les plus inexpérimentés font appel à leur mémoire à court terme qui est la plus utilisée pour les raisonnements logiques. A l’opposé, les joueurs experts font appels à la mémoire à long terme : ils cherchent dans les millions de coups passés celui qui correspond le plus à celui qu’ils veulent faire. C’est la même chose chez les radiologistes qui consultent une radio.
De ce fait, l’intuition est bel et bien opérante lorsque celui chez qui elle surgit possède une expertise du domaine. Il peut alors se fonder sur des situations passées similaires en zappant tout un processus « essais-échecs » d’un raisonnement logique. Considérées comme plus intuitives, les femmes sont tout simplement plus enclines à écouter cette petite voix du cerveau. Rien à voir avec une qualité immanente. C’est juste la pression sociale qui, pour une fois, fait pas trop mal les choses.
Jean Luc Eluard
Avec le soutien du ministère de la Culture