Selon une étude financée par La Ligue contre le cancer de Charente-Maritime, trois foyers du département présentent un excès de risque significatif de cancers chez les enfants et jeunes adultes. Une situation préoccupante dans une région fortement exposée aux pesticides. Le point avec le docteur Thomas Systchenko, hématologue au CHU de Poitiers et co-auteur de ces travaux
Dans la plaine céréalière d’Aunis, plusieurs foyers de cancers pédiatriques préoccupent les scientifiques et les habitants. Selon une étude menée par le registre des cancers de Poitou-Charentes et financée par la Ligue contre le cancer de Charente-Maritime, au moins trois clusters de cancers de l’enfant, l’adolescent et du jeune adulte ont été identifiés autour de La Rochelle et de Saintes sur la période 2008-2022.
En moyenne, l’incidence des cancers pédiatriques en Charente-Maritime n’est pas plus élevée que dans les trois autres départements couverts par le registre (Charente, Deux-Sèvres, Vienne) : 514 observés pour 522 attendus. Il en est de même au niveau des groupements intercommunaux. En revanche, plusieurs points noirs, où le nombre de cas relevés est plus important qu’attendu, apparaissent à l’échelle locale.
Deux communes rochelaises et le sud-ouest de Saintes concernés
Ainsi, à Saint-Rogatien, où est implantée une usine d’enrobé, 7 cas ont été recensés pour 1,8 attendus, confirmant les résultats d’une précédente analyse réalisée entre 2008 et 2017 sur cette commune. À Saint-Vivien, huit kilomètres plus au sud, 5 cas sont apparus pour une attente statistique de 1,1.
Enfin, à l’ouest de Saintes*, une trentaine de cas était attendue, mais 54 ont été recensés. Ces écarts, bien que fondés sur de petits effectifs, interrogent. « Nos résultats sont de l’observationnel : nous identifions des zones où l’incidence s’écarte significativement de la moyenne, explique le docteur Thomas Systchenko, hématologue au CHU de Poitiers et directeur du registre depuis un an. Nous ne pouvons exclure que cela est dû au hasard. Seule une étude étiologique, s’intéressant à d’autres facteurs comme les facteurs de risque connus (génétiques, infectieux, alimentaires/obésité, etc.) ou suspectés (pollution du sol, de l’eau, de l’air ou la présence d’usines, etc.), permettrait de comprendre les causes. Cela nécessiterait l’aide de l’Agence régionale de santé (ARS) et de Santé publique France. Pour l’heure, ces agences n’ont pas lancé ce type d’étude, ce que déplorent la Ligue contre le cancer et les associations. »
Des pesticides dans les urines et les cheveux retrouvés chez 72 enfants testés
Une première alerte sanitaire avait été lancée dès 2018 par le CHU de Poitiers à l’ARS en raison d’un nombre élevé de patients de Saint-Rogatien soignés à Poitiers pour des hémopathies et autres cancers. Depuis, une association de victimes, Avenir santé environnement, a été créée et s’est mobilisée.
En octobre 2024, elle a fait analyser les cheveux et urines de 72 enfants de six communes de la plaine d’Aunis (Périgny, Saint-Rogatien, Montroy, Clavette, Bourgneuf et Dompierre-sur-Mer), par le laboratoire de toxicologie et de pharmacovigilance du CHU. Résultat : 45 molécules différentes ont été retrouvées dans les cheveux et 14 dans les urines. Parmi elles, des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, comme le folpel, un fongicide, ou le pendiméthaline, un herbicide, mais aussi des produits interdits en France, connus pour leurs effets neurotoxiques.
Trop de pesticides dans l’air et l’eau, l’agriculture pointée du doigt
La plaine céréalière d’Aunis et les vignobles de Saintonge sont régulièrement montrés du doigt pour des contaminations de l’environnement aux pesticides. En 2022, des niveaux record en France d’un herbicide, le prosulfocarbe, avaient été mesurés dans l’air de la plaine d’Aunis. Malgré une demande de moratoire pour cet herbicide de l’agglomération rochelaise, l’État est resté silencieux. L’année suivante, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a imposé des restrictions d’usage de ce produit très volatil.
Mais les pollutions se poursuivent : en 2023, quinze captages d’eau ont été fermés en raison de la présence de chlorothalonil, un fongicide interdit depuis 2020. En 2024, l’eau du robinet a à nouveau été jugée « non conforme » après un pic de pollution du fleuve Charente au fosétyl, un fongicide utilisé contre le mildiou.
Saisie de la CNDP par le préfet
Face à la mobilisation des habitants et à la multiplication des signaux d’alerte, le préfet de Charente-Maritime, a saisi la Commission nationale du débat public en octobre 2024 pour organiser une médiation entre scientifiques, élus et agriculteurs. Une réunion de restitution devrait avoir lieu durant ce mois d’avril à la préfecture, selon un article publié dans Le Monde le 26 mars 2025.
« On a déjà perdu sept ans. Pourquoi l’État n’a-t-il pas appliqué le principe de précaution en restreignant les substances les plus problématiques ? », s’interroge Franck Rinchet-Girollet, porte-parole d’Avenir santé environnement cité dans l’article du Monde.
Florence Heimburger
*Cette zone se situe entre au nord-ouest Sablonceaux, nord-est Saint Georges des coteaux, au sud-est Saint Simon de Pelouaille et au sud-ouest Cozes.