Les terres rares sont l’aliment principal de la croissance technologique actuelle. Donald Trump vient même de les intégrer dans la discussion sur la paix en Ukraine. Mais que sont-elles exactement ? Et qu’est-ce qui les rend si précieuses ? Pas forcément le monopole chinois…
Il ne faut pas se laisser avoir par leur nom générique : les « terres rares » ne le sont pas tant que ça. Pas plus que le cuivre ou le nickel par exemple. C’est un malentendu qui les a fait baptiser ainsi : découvertes tard (fin du XVIIIe siècle) en Suède, on pense alors qu’elle sont exceptionnelles pour qu’on ait mis tant de temps à les trouver. Le nom restera même si on s’est vite rendu compte qu’elles étaient répandues un peu partout sur la croûte terrestre. C’est ainsi que le cérium, le plus commun, est classé 25ème élément le plus répandu sur Terre avec une concentration de 66,5 mg/kg de matière. Et même le Lutécium, le moins répandu, l’est plus que l’argent.
Métaux plutôt que terres
Il s’agit donc de métaux plutôt que de terres, qui regroupent 17 éléments, dont 15 de la famille des lanthanides, qui vont du numéro atomique 57 au numéro 71 dans le tableau des éléments. On y ajoute le scandium et l’yttrium. Les lanthanides sont des métaux argentés dont les températures de fusion et ébullition sont plus élevées que la moyenne. Mais ce n’est pas ça qui les rend si intéressants.
Même si chaque élément a sa spécialité, ce sont leurs propriétés électrochimiques et magnétiques qui font leur charme. Ils servent notamment d’aimant « éternel » puisqu’ils ne perdent pas cette propriété, ce qui permet une plus grande durée de vie pour des matériels que l’on n’a pas à ré-aimanter. Ils servent aussi de catalyseurs pour modifier les propriétés d’autres matériaux. Ou encore pour certains processus optiques. Bref, que ce soit en médecine, en production d’énergie, dans l’informatique ou le domaine militaire, rien de ce qui est « moderne » dans le matériel ne peut se faire sans ces matériaux.
Éparpillement plutôt que rareté
Ce qui fait leur rareté, c’est leur dissémination. Contrairement aux autres métaux que l’on trouve en gisement compact, ils sont dispersés parmi d’autres métaux. C’est ainsi que pour 1 kilo de gallium, il faut casser 50 tonnes de roches et pour 1 kilo de Lutecium, la plus rare, on « raffine » plus de 1 200 tonnes de roches. Parce qu’elles sont ainsi saupoudrées au milieu d’autres métaux, il faut un process industriel lourd et extrêmement polluant pour les extraire. Gaspillage d’eau, produits chimiques (et donc pollution des sols) sont indissociables de leur extraction.
Et elles contiennent du thorium et de l’uranium radioactifs qui se dégagent lors du raffinage. Ce risque soulève souvent l’opposition des riverains lors de projets de traitement des terres rares.
Dès les années 1980, la Chine a décidé de miser sur ces terres rares. A la même époque, les États-Unis dominaient le marché mais ils ont peu à peu abandonné ce leadership. Aujourd’hui, l’Empire du milieu contrôle presque 70% de la production mondiale. Et pour conserver son monopole, il utilise les outils du capitalisme. Lorsqu’un concurrent lance une nouvelle production, la Chine augmente la sienne et fait chuter les cours, rendant la production concurrente trop chère à exploiter.
Recyclage et alternatives plutôt que production et raffinage
Et l’Europe dans tout cela ? La France possède des gisements « marginaux » en Bretagne, en Guyane et Polynésie qui seraient rentables en cas d’explosion des cours. Ou d’exploitation directe par l’État. La Norvège vient d’annoncer la découverte d’un très gros gisement. Mais outre qu’il faut plus de 20 ans pour lancer une mine, le désastre environnemental qu’elle peut entraîner peut faire hésiter les démocraties occidentales.
Et on l’a compris, il ne suffit pas de posséder des gisements : la Chine en a beaucoup, certes, mais c’est sa capacité de raffinage qui fait sa force. L’enjeu n’est pas la rareté des terres rares mais la capacité (et la volonté) de les exploiter.
Pour l’Europe, deux solutions s’imposent et elle travaille dessus : trouver des alternatives aux terres rares. Et recycler au maximum celles qui sont dans les produits existants. Pour l’instant, on n’en recycle que 1% car elles sont généralement amalgamées au reste. Le règne des terres rares ne fait que commencer. Mais il pourrait être plus court que celui des hydrocarbures.
Jean Luc Eluard