Des études récentes ont révélé la présence de cocaïne et de fentanyl chez des requins et des dauphins. Cela soulève des inquiétudes sur l’impact de cette pollution sur les écosystèmes marins. Le point avec deux experts
En plus de nuire à la santé humaine, les drogues illicites contaminent aussi l’environnement marin. Selon une étude publiée en juillet dernier dans Science of the Total Environment, de la cocaïne ainsi que son métabolite principal, la benzoylecgonine, ont été détectés dans les muscles et le foie de 13 requins à museau pointu (requin aiguille) (Rhizoprionodon lalandii) capturés au large de Rio de Janeiro, au Brésil.
Ces requins, dont l’espèce est classée comme « quasi menacée » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ont pu être contaminés par l’abandon de cargaison par des narcotrafiquants ou par les eaux usées des centres de production de drogues. Le Brésil, deuxième plus grand marché consommateur de cocaïne en Amérique du Sud, est un foyer important de cette pollution.
Anomalies cellulaires et des altérations génétiques
Les conséquences de la cocaïne sur les animaux marins sont inquiétantes. Des recherches ont montré que des embryons de poissons-zèbres exposés à cette drogue subissaient des anomalies cellulaires et des altérations génétiques (de leur ADN). Les écrevisses, quant à elles, manifestaient des changements comportementaux, notamment une réduction de l’activité alimentaire. Toutefois, l’impact exact sur les requins et autres poissons cartilagineux n’a pas encore été évalué.
La surpêche, une menace plus grande
« Que l’on trouve de la cocaïne chez des requins au large de Rio Janeiro n’est pas vraiment surprenant. Mais les études manquent pour préciser l’impact exact de cette drogue sur ces animaux », indique Éric Clua, vétérinaire, ichtyologue et professeur à l’École pratique des hautes études à Paris. « Par ailleurs, via leur statut de prédateurs qui consomment d’autres animaux déjà contaminés, les requins sont considérés comme des espèces sentinelles en matière de contamination environnementale, c’est-à-dire qu’ils signalent avant les autres espèces que quelque chose ne va pas dans leur milieu… », précise le spécialiste. Néanmoins, selon Éric Clua, « la menace principale pour ces animaux reste la surpêche et ce, bien que la pollution des eaux vienne ponctuellement aggraver cette situation et peser sur l’état de santé de ces poissons au rôle clef pour les écosystèmes marins ».
En effet, la consommation de requins et raies a encouragé une pêche intensive entraînant d’importants déclins des populations. Ainsi, plus de 30 % des espèces de requins et 36 % des espèces de raies sont menacées d’extinction et plus de 50 % en danger critique.
Fentanyl et autres médicaments chez les dauphins
Une autre étude, publiée dans iScience a révélé chez 30 dauphins du golfe du Mexique des taux importants de fentanyl, un opioïde ultra-puissant responsable de nombreuses overdoses aux États-Unis.
Les chercheurs ont aussi trouvé des traces d’autres médicaments, comme des myorelaxants, dans les échantillons de graisse des 89 dauphins étudiés, certains remontant à 2013.
L’impact de ces contaminants sur les dauphins reste mal connu. Mais « une exposition chronique pourrait nuire à leur santé en impactant négativement certaines fonctions telles que la reproduction ou le système immunitaire », souligne Sarah Wund, vétérinaire à l’Observatoire Pelagis, laboratoire de l’université de la Rochelle spécialisé, entre autres, dans l’étude des mammifères marins. « Les effets sont toutefois difficiles à évaluer car la faune sauvage est aussi impactée par d’autres contaminants comme les métaux lourds, et il peut y avoir un « effet cocktail » », explique la scientifique.
Favoriser la pêche durable
« Le lien de causalité entre une contamination chronique et l’émergence de pathologies est difficile à établir, bien que plusieurs études tendent à le démontrer. On sait en revanche que les océans subissent des pressions croissantes, et que l’état de santé des populations marines, notamment des dauphins, se dégrade. Ces cétacés, par exemple, connaissent une diminution de l’âge moyen des individus échoués et une baisse de l’âge de la maturité. Pour protéger ces espèces menacées, il ne suffit pas de lutter contre la pollution, il faut également faire évoluer les pratiques de pêche afin de limiter les risques de capture, et donc favoriser des pratiques durables », conclut la vétérinaire.
Florence Heimburger