Une enquête menée auprès de 30 000 personnes par l’Inserm et l’ANRS révèle d’importantes évolutions dans la vie sexuelle des Français. Le point avec Armelle Andro, démographe à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et co-responsable des travaux
La sexualité a connu des « changements majeurs ». Telle est la conclusion d’une vaste enquête scientifique, initiée en 2019 par l’Inserm et l’Agence nationale de recherche sur le sida, menée sur plus de 30 000 personnes.
Ces travaux montrent, entre autres, que l’âge médian du premier rapport sexuel a reculé : il est de 18,2 ans pour les femmes et 17,7 pour les hommes en 2023, contre 17,3 dans les années 2000. « Cette tendance, qui s’observe aussi dans les pays nordiques, s’explique notamment par la pandémie (confinement, distanciation sociale…), indique Armelle Andro, démographe à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et coresponsable des travaux. Mais elle pourrait aussi être due à la détérioration des conditions de vie des jeunes et de leur santé mentale (30 % d’entre eux présentent des symptômes dépressifs), et à un changement de comportement. Ce rite de passage qui marque l’entrée dans la vie sexuelle n’est plus perçu comme une étape centrale et ne se matérialise plus forcément par un rapport hétéro-pénétratif. »
Par ailleurs, la norme hétérosexuelle, est de plus en plus remise en cause, notamment chez les jeunes femmes : 37,6 % des 18-29 ans déclarent des attirances pour le même sexe. Pour la première fois, les femmes rapportent davantage d’expériences homosexuelles que les hommes.
« La pénétration vaginale n’est plus l’unique norme »
Les Français (18-69 ans) sont aussi moins actifs sexuellement qu’en 2006 : 77,2 % des femmes et 81,6 % des hommes ont eu des rapports sexuels en 2023, contre plus de 80 % et près de 90 % en 2006. Cependant, 45,3 % des femmes et 39 % des hommes se disent très satisfaits de leur vie sexuelle.
La sexualité des séniors reste également dynamique : 56,6 % des femmes et 73,8 % des hommes de 50 à 89 ans sont actifs, contre 50 % et 60 % dans les années 2000.
Les pratiques sexuelles se diversifient, avec une augmentation de la pénétration anale, du sexe oral et de la masturbation depuis les années 1990. « Le répertoire sexuel s’élargit. La pénétration vaginale n’est plus l’unique norme », note Armelle Andro.
8 partenaires sexuels pour les femmes, 16 pour les hommes
Les Français de 18-69 ans déclarent avoir davantage de partenaires sexuels : 7,9 pour les femmes au cours de leur vie contre 1,8 en 1970, et 16,4 pour les hommes 16,4 contre 11,5 auparavant.
« Cette différence entre homme et femmes peut s’expliquer à différents niveaux : les hommes et les femmes ne comptent pas les partenaires de la même manière, explique la chercheuse. Les normes de genres s’imposent de manière inversée aux femmes et aux hommes : pour elles, un nombre élevé de partenaires est stigmatisant socialement alors qu’un « tableau de chasse » est valorisé pour les hommes. De plus, les hommes engagés dans des relations homosexuelles ou bisexuelles ont souvent plus de partenaires (sexualité récréative) que les femmes lesbiennes ou bisexuelles. »
Cependant, la prévention diminue : 75,2 % des femmes et 84,5 % des hommes utilisent un préservatif lors de leur tout premier rapport sexuel. Et seuls 49,4 % des femmes et 52,6 % des hommes y recourent lors d’un premier rapport avec un nouveau ou nouvelle partenaire. Les taux de vaccination contre l’hépatite B et le papillomavirus restent insuffisants par rapport aux autres pays européens, ce qui pourrait expliquer l’augmentation des infections sexuellement transmissibles depuis les années 2000.
Enfin, les violences sexuelles déclarées sont en forte hausse : en 2023, 29,8 % des femmes et 8,7 % des hommes de 18-69 ans ont rapporté avoir subi un rapport forcé ou une tentative au cours de leur vie, contre respectivement 15,9 % et 4,6 % en 2006. « Cette hausse reflète probablement une libération de la parole et une baisse du seuil de tolérance », précise la chercheuse.
Les auteurs poursuivent leurs analyses sur les liens entre sexualité, conditions de vie (catégorie sociale, urbain ou rural) et usage du numérique (pornographie ?). Un ouvrage paraîtra en 2026 aux éditions La Découverte.
Florence Heimburger