La mathématicienne Yvonne Choquet-Bruhat, grande figure de la science française, s’est éteinte, à l’âge de 101 ans ce 11 février 2025. Première femme élue à l’Académie des sciences, elle restera une pionnière dans l’étude de la relativité générale et des ondes gravitationnelles. Son héritage scientifique, particulièrement dans la compréhension des phénomènes cosmiques, marquera les générations futures
Le 11 février 2025, jour de la Journée internationale des femmes et des filles de science, s’éteignait Yvonne Choquet-Bruhat, à l’âge de 101 ans. Une coïncidence symbolique pour cette mathématicienne d’exception, première femme élue à l’Académie des sciences en 1979 et figure incontournable de la relativité générale, théorie de la gravitation développée par Albert Einstein.
Un parcours d’exception
Issue d’une famille érudite avec un père physicien, résistant et déporté en 1944 pour avoir refusé d’aider la Gestapo à retrouver un élève résistant et mort en camp de concentration, une mère agrégée de philosophie et un frère mathématicien, elle se distingue très tôt. Première à l’agrégation de mathématiques en 1946, elle entre au CNRS. Elle sera par la suite professeure dans plusieurs universités et finalement à l’Université-Pierre-et-Marie-Curie (devenue Sorbonne Université). Elle obtient la médaille d’argent du CNRS en 1958.
Apport majeur dans les solutions aux équations d’Einstein
C’est sous la direction du mathématicien André Lichnerowicz qu’elle soutient en 1951 une thèse sur les équations de la relativité générale. Lorsqu’il lui déconseille ce sujet, qu’il juge trop difficile pour une débutante, elle persiste et trouve un soutien auprès d’un autre mathématicien, Jean Leray. Son résultat spectaculaire lui ouvre les portes de l’Institute for advanced study de Princeton (New Jersey). Là, elle rencontre Albert Einstein.
« Son apport majeur réside dans la démonstration de l’existence de solutions aux équations d’Einstein, validant ainsi la cohérence mathématique de la théorie », indique Thibault Damour, professeur permanent de physique théorique à l’IHES de 1989 à 2022 et membre de l’Académie des sciences depuis 1999.
Ses travaux permettront, des décennies plus tard, de mieux comprendre et de simuler numériquement les ondes gravitationnelles, ces déformations de l’espace-temps provoquées par des événements cosmiques, comme la fusion de deux trous noirs. Une onde gravitationnelle a été observée pour la première fois aux États-Unis en 2015 grâce aux deux détecteurs LIGO (Laser Interferometer gravitational-wave). Depuis cette première, plusieurs centaines ont été détectées aussi par l’interféromètre Virgo près de Pise en Italie.
« Une femme exceptionnelle, en avance sur son temps »
« C’était une femme exceptionnelle, toujours en avance sur son temps », souligne Jean-Pierre Bourguignon, ancien directeur de l’IHES, où Yvonne Choquet-Bruhat se rendait une à deux fois par semaine, de ses 70 à ses 90 ans. « Elle s’exprimait de manière pertinente et précise, employait toujours les mots justes », poursuit le mathématicien.
« Son travail a été essentiel pour l’étude des ondes gravitationnelles, poursuit Thibault Damour. Elle était aussi d’une grande humanité, sans langue de bois ni vantardise. Même si je suis physicien et qu’elle était mathématicienne, on apprenait l’un de l’autre. »
Elle ne cessera de publier, écrivant encore un livre sur les équations d’Einstein à 86 ans, un autre à destination des étudiants à 91 ans et ses mémoires (Une mathématicienne dans cet étrange univers, éd. Odile Jacob, 2016) à 92 ans. Elle publiera au total 7 livres de référence et plus de 300 articles scientifiques, et voyagera aux quatre coins de la planète : de la Nouvelle-Zélande au Venezuela en passant par plusieurs pays d’Afrique, le Japon, l’Inde ou la Chine.
Jusqu’à 90 ans, elle continuera de se rendre chaque semaine à l’IHES… en RER, refusant toute proposition de taxi.
Un héritage qui continuera d’inspirer les générations futures ?
Mariée une première fois au mathématicien Léonce Fourès, avec qui elle aura une fille, Michelle, elle épouse en 1961 Gustave Choquet, également mathématicien. Deux enfants naîtront de cette union : Daniel, neuroscientifique, membre de l’Académie des sciences depuis 2010, et Geneviève, dermatologue.
Yvonne Choquet-Bruhat aura donc eu « Une vie bien remplie », comme elle l’écrivait en épilogue de ses Mémoires.
Son immense contribution scientifique lui vaut d’être faite Grand’Croix de la Légion d’honneur en 2016, le grade le plus élevé, les hommages de la presse et de l’Élysée. L’Académie des sciences salue, quant à elle, « la mémoire d’une femme d’exception, dont l’héritage continuera d’inspirer les générations futures ». Un dernier hommage lui sera rendu en Gironde ce vendredi 21 février 2025.
Florence Heimburger