3 QUESTIONS A Pierre Bessière, chargé de recherche en virologie à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT). Aux États-Unis, les cas de chats contaminés par le virus influenza aviaire H5N1 sont en forte augmentation. Qu’en est-il en France ? Les premiers résultats d’une étude menée au sein de l’ENVT montrent que les chats français sont plus contaminés qu’on ne le pensait

1 – En 2023, Curieux! avait fait état du premier cas de chat contaminé par H5N1, un des nombreux virus de la grippe aviaire connus. Où en sommes-nous ?

Vétérinaire de formation, Pierre Bessière est en charge de la chaire mécénale INTERFACES qui s’intéresse aux maladies virales émergentes aux frontières entre faune sauvage et domestique.

« Dans le cadre de la chaire INTERFACES, nous avons analysé plus de 700 échantillons de sang prélevés sur des chats, ayant accès à l’extérieur et vivant en dehors des grandes agglomérations. Notre objectif était de rechercher la présence d’anticorps témoignant d’une infection passée. Chaque prélèvement était accompagné d’un questionnaire adressé à son propriétaire ou au vétérinaire pour connaître le lieu de vie du chat et ses habitudes.

Les premiers résultats montrent qu’une part non négligeable de la population féline française a été infectée à un moment ou un autre par le virus influenza H5N1. Si on prend la population féline totale, on est autour de 1% des chats. Si on prend uniquement les chats errants, le chiffre dépasse les 10 %. Et l’on devrait trouver des pourcentages encore plus élevés si on se focalise sur certaines régions, au niveau des couloirs de migration aviaire, puisque H5N1 circule intensément chez les oiseaux sauvages. »

Planche extraite de l’ouvrage La Grippe (p. 68), illustré par Yohan Colombié-Vivès. Texte : Pierre Bessière. Reproduction avec l’aimable autorisation de son éditeur : EDP Sciences.

2 – Quels sont les symptômes d’une infection à la grippe aviaire chez le chat et comment se contaminent-ils ?

« H5N1 aime beaucoup le système nerveux central. Il se multiplie dans le cerveau et peut y causer des hémorragies entraînant des atteintes neurologiques, comme des convulsions ou des troubles de l’équilibre. On note aussi des atteintes respiratoires. S’ajoutent des signes généraux : fièvre, refus de manger, fatigue… Cette infection reste encore mal décrite chez le chat, et elle est très polymorphe (présente plusieurs formes). C’est pourquoi de nombreux praticiens pourraient passer à côté. Il est donc primordial de les sensibiliser pour qu’ils prennent les mesures de précaution et de soins adaptés.

A l’heure actuelle, un seul décès a été enregistré en France, mais aux États-Unis les décès se multiplient ! Dans certains états, comme la Californie, la situation est catastrophique ! Car les foyers d’infection concernent non seulement les élevages de volailles, mais aussi les élevages bovins. Des centaines et des centaines de fermes sont touchées. Les chats vivant à proximité se contaminent au contact des vaches ou des oiseaux malades. En France, les élevages bovins ne sont pas concernés et on vaccine désormais les canards (depuis octobre 2023). Cela a cassé l’effet « caisse de résonance » dans les élevages avicoles. Les chats que nous avons testé positifs se sont donc vraisemblablement infectés en chassant des oiseaux sauvages. »

3 – Le virus de la grippe aviaire est capable de passer d’un oiseau à un chat. Pourrait-il passer d’un chat à un humain ? 

« La barrière d’espèces entre les oiseaux et les mammifères est de moins en moins un problème pour ce virus. Le passage entre mammifères est plus compliqué pour lui. Le risque qu’il passe d’un chat à un humain existe, mais reste faible à l’heure actuelle. Les propriétaires de chats ne doivent donc pas s’alarmer.

Aux États-Unis, on recense des cas de transmissions à l’homme au sein d’élevages de vaches laitières. Le virus se reproduit dans la mamelle des vaches, donc tous ceux qui travaillent dans les salles de traite sont exposés à de grandes quantités de virus diffusés en aérosol, et peuvent être contaminés. Pour l’instant il n’y a pas de chaînes de transmission entre humains, mais nous devons rester vigilants. Parce que des virus aviaires qui se multiplient chez un mammifère font forcément émerger des variants, qui deviennent capables d’infecter d’autres mammifères et donc potentiellement l’homme.  Notre meilleure protection, aujourd’hui, c’est la vaccination des élevages et la connaissance de la maladie par les vétérinaires. »

Propos recueillis par Alexandrine Civard-Racinais

De nombreuses espèces animales touchées

Le virus influenza aviaire hautement pathogène H5N1 affecte aujourd’hui un large éventail d’espèces de mammifères, sauvages et domestiques, dans le monde. 

  • La plupart sont des mammifères sauvages terrestres, carnivores : renard roux, souris commune, mouffette rayée, raton laveur, vison d’Amérique, loutre d’Europe
  • Chez les mammifères sauvages aquatiques, des cas de contamination de dauphins, d’otaries ou de phoques sont rapportés. 
  • Parmi les mammifères domestiques, les espèces de vaches laitières sont particulièrement touchées (Amérique du Nord). Des foyers ont aussi été détectés dans des élevages d’animaux à fourrure comme le vison en Espagne et en Finlande.
  • Le premier cas de chien infecté au H5N1 « après avoir mâché une oie sauvage » a été signalé en avril 2023, par les autorités canadiennes.

A lire pour prolonger cet article

  • Contagion. Quand l’homme empiète sur la nature. Pierre Bessière (auteur) et Céline Pénot (ill.), Marabules, 2025.
  • La Grippe. Un virus, des canards et des hommes. Pierre Bessière (auteur) et Yohan Colombié-Vivès (ill.), EDP Sciences, 2021.

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