3 QUESTIONS A Isabelle Thinon, géologue-géophysicienne au BRGM. Elle a participé à une mission océanographique pour savoir ce qui était à l’origine d’essaims de séismes au large de Mayotte. Les observations ont permis de suivre la naissance d’un volcan sous-marin à 3500 mètres de profondeur

1 – La Terre peut-elle trembler en France métropolitaine ?

Absolument, d’autant plus que l’on a eu quelques exemples récents en Charente, dans les Pyrénées et au Teil (11/09/2019). D’autres régions en métropole et outre-mer sont aussi sismiques. Les séismes sont causés par la vibration du sol en réponse à des mouvements de faille, une charge hydraulique, une activité volcanique/magmatique, qui elle est associée en général à des essaims de séismes, provoqués par la fracturation des roches et le déplacement de magma des profondeurs à la surface.

Depuis 14 mai 2018, les sismologues peuvent observer ce phénomène au large de Mayotte.

2 – Comment avez-vous pu détecter le volcan Fani Maoré au large de Mayotte ?

En tant que géologue ayant déjà étudié le domaine maritime de Mayotte, j’ai été sollicitée pour une expertise sur la géologie et la géodynamique de la région. Connaitre l’histoire géologique aide souvent à comprendre les phénomènes actuels.

J’ai fait partie de la première campagne océanographique qui est allée à la recherche d’indices de volcanisme sur le fond marin au large de Mayotte. En mai 2018, il n’y avait qu’un sismomètre sur l’île. Il était donc difficile de bien localiser les plus de 2200 séismes supérieurs à une magnitude de 3.5.
L’île de Mayotte s’est aussi enfoncée et déplacée jusqu’à 20 centimètres. Les modèles géodésiques ont proposé que l’île s’enfonçait suite à la vidange d’une grande chambre magmatique en profondeur. Grâce aux localisations même imprécises des séismes et de la chambre magmatique, on savait où explorer : à l’est de Mayotte. Mais la zone était très vaste et le fond marin est à 3500 mètres de profondeur ! En plus, même si c’était un évènement hors norme, Est-ce que le magma avait atteint la surface ou pas ?

On a réalisé un levé bathymétrique qui nous a donné la profondeur du fond et aussi les reliefs. On a alors repéré une sorte de cône de 820 mètres de haut avec à son sommet une anomalie acoustique dans la colonne d’eau, en forme de panache de plus de deux kilomètres (analogue aux panaches visibles sur volcans en éruption sur terre). C’était la preuve que l’éruption volcanique, était en cours. Notre navire était au-dessus !

Nous avons enquêté pour savoir si c’était un nouveau volcan ou pas. Un levé bathymétrique effectué en 2014 ne montrait aucun relief à cet endroit-là. Nous venions donc de découvrir un nouveau volcan actif, qui sera nommé Fani Maoré. On avait trouvé ce que l’on cherchait !

Les études scientifiques ultérieures ont permis de reconstruire la chronologie de cette éruption, l’origine du magma et son évolution : Une vrai enquête !

C’était la première fois que la naissance d’un volcan sous-marin a été enregistrée, d’autant que cette éruption est l’une des plus importante jamais enregistrée.

3 – Quel parcours vous a mené à devenir géologue-géophysicienne au BRGM ?

J’ai voulu devenir scientifique pour comprendre les phénomènes naturels, et les grandes catastrophes associées. Et j’ai un intérêt pour l’acoustique car cela permet de voir sous la surface de la terre, là où ne peut pas aller.

J’ai fait un bac scientifique mais sans trop savoir où m’orienter. Je voulais faire comme Cousteau, Tazieff, les Krafft : partir, découvrir, comprendre le monde grâce à des explorations. Mais je ne savais pas que cela pouvait être un métier car personne ne me l’avait enseigné. Au collège, élève considérée comme médiocre sans grande chance de « réussir »! Mais une fois que j’ai su que tout était possible, c’était parti.

J’ai étudié à l’université de Saint-Etienne où j’ai trouvé ma voie, puis à l’ENS de Lyon, jusqu’à un doctorat à l’Université de Bretagne occidentale. Les stages m’ont permis de découvrir différentes thématiques des géosciences, de réaliser mes premières campagnes océanographiques et de voir les mammifères marins ! Après avoir réalisé un post-doctorat, j’ai intégré le BRGM il y a 20 ans.

Pour encourager les jeunes filles à se diriger vers des filières scientifiques, il faut se dire que tout est possible. Les métiers scientifiques ne sont pas dans des cases, ni genrés. Ils nous offrent la possibilité de « vivre des aventures » et de faire « de riches rencontres ».

Il faut provoquer la chance, elle sourit aux audacieuses !

Propos recueillis par Alexandre Marsat

Avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation

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