3 QUESTIONS A Françoise Leroi. Directrice de recherche à l’Ifremer, elle dirige le laboratoire « écosystèmes microbiens & molécules marines pour les biotechnologies ». Depuis 30 ans, elle a isolé des bactéries qui peuvent protéger les produits de la mer des agents pathogènes ou de toute dégradation de la qualité du produit
1 – Quels problèmes peuvent exister en termes de sécurité alimentaire pour les produits de la mer ?
On peut avoir une contamination par certains micro-organismes, souvent des bactéries. Ces micro-organismes peuvent être présents naturellement dans le produit comme un poisson où l’intestin en est rempli ou encore sur sa peau. La chair est stérile mais lorsque l’on fait des filets, on répand ces micro-organismes sur la chair et ils peuvent se développer. L’environnement industriel et les manipulateurs sont également des sources de contamination.
On peut donc parfois trouver des bactéries potentiellement pathogènes notamment des Listeria monocytogenes dans des produits légèrement transformés comme le saumon fumé. Ces micro-organismes peuvent se développer au cours de la conservation et donc devenir toxiques pour l’homme. Comme dans tous les produits alimentaires, on peut trouver également d’autres pathogènes comme vibrio, staphylococcus etc…
Quand des microorganismes se développent, ils peuvent aussi produire des mauvaises odeurs ou une dégradation de la texture et du goût. Ce n’est pas dangereux pour le consommateur mais il ne va pas apprécier ce produit. On aura donc des pertes économiques qui peuvent être importantes.
Au-delà du froid et de l’hygiène, on peut ajouter une barrière supplémentaire : la bio-préservation. C’est mon sujet de recherche à l’Ifremer.
2 – Comment vos recherches sur la bio-préservation peuvent résoudre ces problèmes de sécurité et de qualité ?
La bio-préservation est un moyen de lutte biologique qui consiste à introduire dans les aliments des bactéries qui ne sont pas nocives du tout pour la santé. On les sélectionne pour empêcher la croissance des bactéries pathogènes dangereuses pour la santé ou qui altèrent la qualité du produit.
Mes recherches consistent à trouver ces bonnes bactéries pour les réintroduire à forte concentration juste après la production des produits de la mer. Celles-ci auront alors une activité antimicrobienne intéressante.
Le challenge est de trouver ces « bonnes » bactéries. Si on est chanceux, on peut en trouver dans l’aliment lui-même mais souvent en petit nombre. Je les isole et je les caractérise pour être sûre qu’elles ne sont pas dangereuses. Puis je vérifie leur activité antimicrobienne dans des conditions modèles et je regarde aussi les mécanismes d’action. Ensuite, j’introduis les bactéries à grande concentration dans les produits de la mer pour les protéger sans qu’elles altèrent la qualité du produit.
A l’Ifremer, cela fait 30 ans que je travaille sur cette technologie. J’ai isolé plusieurs bactéries avec de nombreux tests qui ont montré leur efficacité. Par exemple, j’ai des bactéries qui sont actives contre Listeria monocytogenes dans le saumon fumé. Et elles permettent de retarder l’altération du produit. J’ai d’autres bactéries pour les crevettes cuites décortiquées emballées sous atmosphère modifiée.
Certaines de nos bactéries sont maintenant commercialisées par des industriels pour des produits de la mer mais aussi de la viande ou du fromage.
On répète ce qui peut parfois se faire dans la nature mais en concentrant nos bactéries.
3 – Quel parcours vous a amené à devenir directrice de recherche à l’Ifremer ?
En faisant des petits jobs, j’ai compris que j’allais m’ennuyer dans certains métiers. Alors j’ai décidé d’intégrer une classe préparatoire aux grandes écoles (actuelle prépa BCPST biologie chimie physique et science de la terre). Puis j’ai intégré une école d’ingénieur : l’école supérieure d’agronomie à Rennes et je me suis spécialisée en microbiologie. J’ai passé une thèse en microbiologie des aliments. Avec ce doctorat, j’ai pu intégrer l’Ifremer il y a 30 ans en tant que chercheuse puis chef de projet.
Aujourd’hui, je suis responsable d’un laboratoire d’une quinzaine de chercheuses qui travaillent sur l’utilisation des bactéries marines.
J’encourage les jeunes filles à se diriger vers des études scientifiques. Elles ont de grandes aptitudes pour cela car elles sont travailleuses, persévérantes et résistantes.
Propos recueillis par Alexandre Marsat
Avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
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