Apparu dans les années 1990, le terme cisgenre nous rappelle que toutes les identités de genre s’inscrivent dans des processus de constructions sociales et intimes. Explications.
En mai 2024, Elon Musk a souhaité bannir les mots cis et cisgenre de X (ex-Twitter), arguant qu’il y voyait une insulte envers les personnes « normales ». Si cette interdiction semble, dans les faits, très relative, elle éclaire les enjeux spécifiques à cette terminologie.
Que signifie le terme de cisgenre ? En quoi ce terme est-il nécessaire et comment est-il utilisé ? Retour sur l’histoire et l’usage d’un mot pour décrire une identité de genre majoritaire.
« Cisgenre » : au-delà du neutre et du normal
La sociologie de la déviance nous apprend que l’on nomme d’abord « les autres », ceux que l’on catégorise comme « anormaux », « déviants », afin de les distinguer de celles et ceux que l’on estime « neutres » ou « normaux », « sains » ou « naturels ». Nous connaissons bien cette logique. Dans L’invention de l’hétérosexualité, Jonathan Katz nous rappelle que le terme homosexualité a été inventé avant le terme hétérosexualité. Il s’agit de créer des catégories qui sont aussi des hiérarchies. L’une serait « naturelle » (l’hétérosexualité), l’autre non.
Ce sont aussi ces critères de différenciation qu’utilise l’Académie française dans sa définition d’hétérosexualité dans l’édition 2024 de son dictionnaire : « qui est relatif à la sexualité naturelle entre personnes de sexe différent ».
Sans mot, les choses n’existent pas. Si l’on a nommé les personnes trans depuis les années 1950 (on utilisait alors le terme de transsexualisme ): qui sont celles et ceux qui ne sont pas trans ? Sont-ils/elles « normaux » ? « Neutres » ? « Naturels » ? « Inqualifiables » ?
La création du terme cisgenre
D’un point de vue académique, on peut retracer l’histoire du terme cisgenre. Dans une publication de 1991 (que nous pourrions traduire par Les transsexuels et notre vision nosomorphique), le sexologue Volkmar Sigusch emploie le terme cissexuel (« zissexuell ») comme antonyme à celui de « transsexuel ». Mais la popularisation de ce terme s’effectue néanmoins principalement par l’ouvrage de Julia Serano Whipping Girl.
Progressivement, il devient évident que les identités de genre minoritaires ne peuvent plus être les seules à porter le poids de la catégorisation, et donc de la stigmatisation (puisque seule la catégorie de la maladie mentale est alors définie). Avec Internet, l’emploi du terme va grandir encore, jusqu’à devenir une proposition d’identité sur Facebook ou une présentation biographique sur Twitter ou Instagram.
Dire son identité de genre
L’identité « cisgenre » (la cisidentité) est l’hypothèse qui s’applique par défaut aux êtres lors de leur naissance. On fait le pari que la présence d’un sexe anatomique (peu importe ce dernier) donnera lieu à une identité de genre qui épouse normes sociales accolées à ce sexe. Au pénis, le masculin et le devenir homme. À l’utérus, le féminin et le devenir femme.
Dans de nombreux cas, toute autre manière d’être à son genre demeure encore aujourd’hui perçue comme suspecte, voire anormale. Selon une étude de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) en 2023, 17 % des Françaises et des Français considèrent qu’être trans est une maladie !
Dire la cisidentité revient alors à appréhender le fait que chaque identité de genre est spécifique. Cette horizontalisation par les termes ne permet certes pas une bascule des représentations, mais elle inaugure le fait que chacun et chacune puisse être en mesure de positionner son identité de genre au-delà des catégories de la maladie, de la pathologie ou de la normalité. En ce sens le terme cisgenre est essentiel car il inscrit, en effet miroir, toutes les identités de genre dans des processus de constructions sociales et intimes.
Arnaud Alessandrin, Sociologue, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.