La réforme du bac initiée en 2018 devait casser la hiérarchie entre les spécialisations littéraires, économiques ou scientifiques et faciliter la transition entre le lycée et l’université. Les résultats sur le terrain sont-ils à la hauteur de ces attentes ? Les premiers résultats d’une thèse nous montrent que certains clivages persistent et que les choix faits en fin de seconde restent déterminants.


En finir avec la hiérarchie des filières au lycée, c’était l’un des objectifs de la réforme du baccalauréat lancée en 2018 et qui avait effectivement supprimé les séries générales mises en place depuis 1995 : le baccalauréat scientifique (dit « bac S »), le baccalauréat économique et social (« bac ES ») et le baccalauréat littéraire (« bac L »).

Les premiers lauréats de l’examen dans sa forme nouvelle ont été diplômés en 2021. Désormais, le cursus en classes de première et terminale se divise entre un socle commun et un système de combinaison d’enseignements de spécialité (EDS). Chaque lycéen doit en choisir trois à suivre en classe de première, dont deux sont conservés en terminale. Ces enseignements constituent les matières les plus importantes du nouveau bac, autant du point de vue des volumes horaires que des coefficients, et reflètent le profil disciplinaire des bacheliers.

Une thèse de doctorat autour des effets de cette réforme nous apporte de premiers résultats. Préparée à l’Institut de Recherche sur l’Éducation (IREDU), elle s’appuie sur un échantillon de 15 000 lycéens ayant obtenu leur baccalauréat général en 2022. L’objectif est d’analyser si le nouveau baccalauréat permet une moindre hiérarchisation des filières et, en cela, de moindres inégalités sociales d’orientation.

Ceci permet également de comprendre comment la structuration et l’obtention du bac peuvent influencer les vœux d’orientation sur Parcoursup, puis la réussite en première année d’études universitaires.

Bac L, ES, S : des choix qui étaient liés au prestige

L’introduction de ce nouveau système de spécialités devait d’abord permettre de remédier au manque d’articulation entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. D’après le rapport Mathiot à l’origine de la réforme, le lien entre les apprentissages suivis au lycée et ceux qui sont développés dans les études supérieures choisies était insuffisant.

En effet, dans le cas des anciennes séries du bac général, le choix des lycéens n’était pas tant un choix disciplinaire en cohérence avec leurs inspirations de poursuites d’études (près de 40 % des bacheliers scientifiques s’orientaient dans des filières post-bac non scientifiques) qu’un choix lié au prestige de la série, avec une hiérarchie allant de la « voie royale » du bac S au plus impopulaire bac L.

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Or, il a été constaté une forme de spécialisation sociale du bac scientifique, avec une surreprésentation de garçons et d’élèves d’origine sociale favorisée. Cette stratification se poursuivait, de plus, dans l’enseignement supérieur : le bac S offrait non seulement plus d’opportunités que les autres séries, en particulier par rapport au bac L, mais il ouvrait également les portes des formations les plus sélectives et prestigieuses, telles que les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE).

Une diversification des profils disciplinaires depuis la réforme

En théorie, les lycéens font désormais leur choix d’enseignements de spécialité parmi treize possibilités, d’où 286 combinaisons possibles en première et 78 en terminale. Bien que tous les enseignements de spécialité ne soient pas proposés dans chaque lycée, la réforme permet une plus grande ouverture disciplinaire et une importante diversification des parcours par rapport aux trois anciennes séries du bac général.

Ainsi, il est observé une multiplication des combinaisons transdisciplinaires, qui est un pur produit de la réforme, comme par l’exemple la doublette « SES–SVT », qui se positionne parmi les dix combinaisons les plus fréquentes en terminale. Au sein de notre échantillon, ce type de profils qui associe une spécialité scientifique avec une spécialité littéraire ou en sciences humaines et sociales (SHS) représente 14 % des lycéens. https://www.youtube.com/embed/LykMXc9D_Sk?wmode=transparent&start=0 Réforme du baccalauréat : reportage en 2019 au lycée Laetitia d’Ajaccio (France 3 Corse).

Parmi les profils scientifiques, il se distingue deux grandes spécialisations : d’une part, un profil orienté « santé » (avec la doublette « Physique-Chimie — SVT »), et d’autre part, un profil centré autour des mathématiques (l’EDS mathématiques avec un autre EDS scientifique). Ils représentent respectivement 25 % et 21 % des lycéens de l’échantillon.

À titre de comparaison, les profils littéraires, c’est-à-dire les lycéens n’ayant choisi aucun EDS ou option scientifique, comptent pour 30 % des effectifs — le double de la part que représentait les bacheliers littéraires avant la réforme. Les 10 % restants concernent les profils combinant un EDS littéraire ou en SHS, et l’EDS mathématiques, de façon similaire à l’ancien bac ES.

Un clivage scientifique/littéraire persistant, avec de fortes disparités sociales

Pour autant, les données de la thèse révèlent que la diversité des combinaisons de spécialité n’empêche pas une reproduction des inégalités sociales de choix d’orientation. Les profils scientifiques demeurent l’apanage des garçons, des lycéens issus d’un milieu aisé et des (très) bons élèves. À l’inverse, les profils littéraires concernent plus souvent les filles, les élèves rencontrant des difficultés scolaires et ceux issus d’un milieu populaire.

Les EDS scientifiques sont également davantage mobilisés par les élèves scolarisés dans des lycées où la composition sociale est favorisée et le taux de mention global au baccalauréat élevé. Cet aspect peut s’expliquer en partie par le fait que les lycées au public favorisé accompagnent davantage leurs élèves dans leur choix d’orientation, et en cela, peuvent pousser leurs élèves à se tourner vers les enseignements les plus favorables à une orientation post-bac.

Au-delà d’une dualité scientifique et littéraire, la réforme a surtout accentué les inégalités genrées, sociales et scolaires dans l’apprentissage des mathématiques, en faveur, à nouveau, des garçons, des meilleurs élèves et des lycéens de milieu favorisé.

Enseignements de spécialité : quel impact sur Parcoursup ?

Depuis l’introduction de Parcoursup, toutes les formations sont invitées à classer l’ensemble des candidatures reçues. Ce classement repose sur des critères de sélection, variables d’une formation à une autre. Aujourd’hui, tout l’enjeu est de savoir dans quelle mesure le choix d’enseignement de spécialité conditionne l’accès aux études supérieures.

Ainsi, si les bacheliers scientifiques s’orientent moins qu’avant la réforme vers des formations non scientifiques, les mathématiques, plus spécifiquement, sont devenues un prérequis primordial pour de nombreuses formations, y compris non scientifiques.

Par ailleurs, les bacheliers scientifiques de l’ancien baccalauréat ont longtemps bénéficié des meilleures chances de réussite dans l’enseignement supérieur. De premiers résultats montrent que cette tendance demeure avec les nouveaux profils scientifiques, et qu’à l’inverse, les profils littéraires ont des chances de réussite inférieures aux autres. Ceci s’expliquerait en particulier par l’absence d’un enseignement en mathématiques suivi au lycée.

Finalement, les choix faits par les lycéens en fin de seconde semblent encore plus déterminants depuis la réforme. Les enseignements de spécialité suivis conditionnent en effet la poursuite d’études et les chances de réussite des lycéens dans l’enseignement supérieur. Dès lors, l’accompagnement des élèves dans ce choix par des professionnels de l’orientation scolaire apparaît primordial, afin de lutter contre ces diverses inégalités sociales d’orientation. Or, à ce jour, les moyens mis à la disposition des établissements scolaires semblent encore insuffisants.

Faustine Vallet-Giannini, Doctorante en sciences de l’éducation (IREDU), Université de Bourgogne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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