« Les enfants ne sont pas prêts cérébralement à utiliser les écrans », pointe la neuroscientifique bordelaise Mélissa Bonnet, spécialiste de la plasticité cérébrale. L’usage répété et solitaire des écrans pourrait conduire à certaines problématiques sur le long terme dans le rapport à l’autre
Les études scientifiques sur les effets des écrans sur les enfants se multiplient. Certaines alarmistes, d’autres plus rassurantes. Un consensus se dégage cependant sur certains effets néfastes notamment lorsque les écrans remplacent les moments d’échanges avec autrui. Des études ont ainsi pu démontrer chez certains enfants des retards de langage, d’autres des problèmes d’apprentissage liée à un manque de sommeil. Des symptômes dépressifs découlant d’un usage trop intensif des écrans ont aussi été constatés.
Selon la docteure en neurosciences de l’Université de Bordeaux, Mélissa Bonnet, les enfants et les adolescents ne sont pas prêts cérébralement à cette exposition multiple aux écrans, pourtant aujourd’hui généralisée. « On a tendance à oublier que le cerveau des enfants est en construction. Ils ont surtout besoin d’expérimenter, de toucher, de bouger, d’interagir et de se sociabiliser. Ils n’ont pas encore développé certaines capacités comme chez l’adulte », rappelle-t-elle.
Une plus grande difficulté à se mettre à la place de l’autre
Elle pointe surtout l’usage isolé d’un écran type smartphone par un enfant et plus spécifiquement ses effets délétères sur le développement de leurs capacités à comprendre l’autre. « En neurosciences, on parle de théorie de l’esprit, capacité portée notamment par les régions préfrontales dont la maturation n’est effective que vers l’âge 25 ans. Cette capacité permet de se mettre à la place de l’autre et d’envisager ses états mentaux par exemple sa souffrance. Elle est donc à la base de nos capacités d’empathie. Nous entraînons cette capacité grâce à nos interactions avec d’autres personnes. En « faisant écran » à l’autre, un écran vient ainsi s’opposer à nos compétences sociales », estime Mélissa Bonnet.
De fait, si un enfant regarde la télévision accompagné d’un adulte qui commente, s’indigne, pointe ce qui se fait ou ne se fait pas, l’enfant acquière ce qui est socialement accepté ou acceptable. Si un enfant regarde du contenu sur un écran seul, enfermé dans sa bulle, il ne bénéficie pas de cette éducation comportementale.
Un réseau social est tout sauf social
« En difficulté dans les rapports sociaux, le jeune peut ainsi avoir tendance à craindre le contact avec les autres voire à s’isoler » , ajoute la scientifique. Le harcèlement à travers les réseaux sociaux serait une autre forme de démonstration de la difficulté à comprendre l’autre et à se mettre à sa place. « Il pointe également la facilité à faire du mal quand on ne voit pas les émotions de l’autre sur son visage », s’inquiète Mélissa Bonnet. A cause de cette difficulté à maîtriser les codes sociaux, elle recommande d’interdire les réseaux sociaux aux jeunes jusqu’à l’âge de 18 ans. Elle précise : « le temps de les laisser créer leur sociabilisation avec de vraies relations humaines non dématérialisées. Les rétropédalages massifs et récents de plusieurs pays sur l’usage des écrans chez les jeunes témoignent que le constat mondial de ces effets délétères devient largement consensuel. »
Marianne Peyri
Avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation