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3 QUESTIONS À. Depuis 20 ans, des éléphants de mer équipés de capteurs jouent le rôle de bio-échantillonneurs et aident les scientifiques à étudier l’océan Austral. Christophe Guinet, chercheur au Centre d’études biologiques de Chizé et spécialiste de l’écologie des mammifères marins, nous présente ses collaborateurs hors normes

Pourquoi est-il important de savoir de quelle manière l’océan Austral est affecté par le changement climatique en cours ?  

Christophe Guinet : L’océan Austral joue un rôle fondamental dans la régulation du climat de notre planète. Il représente 40% du piégeage du carbone atmosphérique et 50 à 70% du stockage de l’excès de chaleur de l’océan global. Il est donc très important de savoir de quelle manière, et à quelle vitesse, cet océan est affecté par le réchauffement climatique et quelles sont les conséquences écologiques de ces changements.

A l’échelle de l’océan global, nous disposons d’un système d’observation s’appuyant sur des robots autonomes appelés profileurs Argo qui mesurent la température et la salinité. Mais certaines zones sont sous échantillonnées. C’est notamment le cas de l’océan profond (les profileurs Argo s’arrêtent à 2000 mètres) et des zones polaires du fait de la présence de banquise qui empêche les profileurs de remonter à la surface ou les broie. Sans les éléphants de mer, nous serions en grande partie aveugles. L’idée a été de tirer parti des travaux conduits par mon laboratoire sur l’écologie des éléphants de mer pour compléter et renforcer ce système d’observation.

En quoi les éléphants de mer étaient-ils de bon candidats pour contribuer à cette collecte de données ?

Pose d’une balise Argos sur un mâle éléphant de mer subadulte de 1 500 kg, dans les îles Kerguelen au sud de l’océan Indien. Photo Christophe Guinet / CEBC / CNRS Images

Christophe Guinet : Les éléphants de mer sont des plongeurs hors pair : ils plongent continuellement, quasi sans discontinuer, et profondément. La profondeur moyenne de leurs plongées avoisine les 500 mètres, mais ces phoques sont capables de descendre à plus de 1000 voire à plus de 2000 mètres pour les grands mâles. Enfin, ils passent dix mois sur douze en mer. Les animaux que nous équipons de balises océanographiques échantillonnent ainsi la température, la salinité, la fluorescence et l’oxygène dissout sur des milliers de kilomètres et plusieurs mois.

Depuis vingt ans, les éléphants de mer sont devenus les principaux contributeurs de données dans l’océan Austral. On leur doit 80% des profils de température et de salinité obtenus au sud de 60°S, et même 98% des données associées à la zone de banquise.

Les immenses plages de sable gris des Kerguelen sont fréquentées par les éléphants de mer pendant la saison de reproduction et la période de mue. PHOTO ACR

Que nous apprennent les données collectées ? 

Christophe Guinet : Depuis peu, les éléphants de mer nous permettent d’obtenir des informations uniques sur la biologie de l’océan Austral. Pour cela nous les équipons d’un micro-sonar, couplé à un capteur de bioluminescence. Ces appareils permettent désormais d’évaluer leurs tentatives de captures de proies, mais aussi les concentrations en phytoplancton, en zooplancton, et en micronecton1 dans la colonne d’eau. Grâce à l’ensemble de ces données, on sait que l’océan Austral se réchauffe sur l’ensemble de sa colonne d’eau, y compris en profondeur.

On observe aussi une modification de la manière dont les eaux se mélangent dans la colonne d’eau. Cela a une incidence sur l’abondance et la composition des communautés du phytoplancton. On constate ainsi un déclin des diatomées, des micro-algues siliceuses. Or les diatomées ont une forte valeur nutritionnelle essentielle pour les animaux qui les consomment. Leur déclin risque donc d’avoir des conséquences en cascade sur toute la chaine alimentaire. Nos recherches continuent pour affiner nos connaissances sur la biologie de l’océan Austral ! Merci les éléphants de mer !

L’éléphant de mer est le plus grand représentant de la famille des phoques. Les femelles pèsent entre 300 et 600 kilos, les mâles jusqu’à 2 tonnes et demie. PHOTO ACR

Propos recueillis par Alexandrine Civard-Racinais

  1. Le zooplancton et le micronecton sont les deux premiers échelons animaux de la chaine trophique marine. Ces organismes de milieu de chaine alimentaire se composent de gélatineux, de crustacés et de poissons ↩︎

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