À deux pas du prestigieux vignoble bordelais de Château Haut-Brion, l’ostéothèque de Pessac abrite des milliers de restes humains. Ce lieu unique en France représente une manne pour les chercheurs. Ici, les squelettes ne suscitent pas la frayeur, mais la gratitude pour les services rendus à la science
Jadis, les morts étaient mis en bière. Ici, on les met en boite. Des boites, il y en a partout au premier étage de ce vaste espace de conservation et d’étude, fonctionnel et froid. D’aucun pourrait le trouver lugubre. Ces boites contiennent en effet des restes humains, issus de fouilles archéologiques menées par les membres du laboratoire Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement, Anthropologie (PACEA), de l’université de Bordeaux, tout proche. Pourtant, « nos collections sont bien vivantes », affirme d’emblée le maître de céans Patrice Courtaud.
« Des traces de découpe qui évoquent la pratique du cannibalisme »
Tous les os conservés ou accueillis ici ont vocation à faire avancer la connaissance. L’ostéothèque de Pessac est la « seule structure à accueillir des vestiges humains sans limite géographique ou chronologique », signale le gestionnaire des collections. « Une vraie manne pour l’étude des différentes populations humaines dans leur variabilité. Elles peuvent permettre, par exemple, d’appréhender les maladies qui ont décimé certaines populations, comme la Peste, dans l’Europe du Moyen Âge ». Les restes les plus anciens* sont datés du Mésolithique (- 11 000 à – 5 500 ans avant notre ère), et certaines collections viennent d’Afrique ou des Amériques.
Les boites correspondant à la collection « Cadet 2 », font ainsi référence à une grotte située sur l’île de Marie-Galante, en Guadeloupe. Fouillée entre 2004 et 2007 par Patrice Courtaud, « cette grotte est l’une des seules cavités naturelles des Petites Antilles a avoir livré des restes humains amérindiens. Il s’agit de deux ou trois adultes jeunes, d’un enfant et d’un sujet périnatal qui ont été déposés là au moment du contact, ou un peu avant, entre les Amérindiens et Christophe Colomb. Ces vestiges humains présentent des traces de découpe qui évoquent la pratique du cannibalisme. C’est l’un des rares témoignages archéologiques du traitement des corps pour les Antilles. »
Des morts qui font avancer la science
Chaque année, une dizaine d’étudiants et de chercheurs (parfois venus de l’étranger) poussent la porte de l’ostéothèque. Certaines collections sont particulièrement demandées. C’est le cas de « La Granède », représentée par 152 squelettes très bien conservés issus d’un même cimetière aveyronnais fouillé en 2008. « C’est l’une de nos collections les plus actives depuis son entrée dans l’ostéothèque il y a dix ans », se réjouit Patrice Courtaud. Une part de son travail consiste à faire entrer des nouveautés, mises à disposition de ses collègues pour des travaux universitaires et des programmes scientifiques, et à faire tourner les collections.
Mona quitte à l’instant Patrice Courtaud. Cette jeune chercheuse effectue un post-doctorat à Boston, théâtre d’un attentat en 2013 pendant le marathon. Elle recherche des traces de stress dans les dents des enfants nés après ce drame, conséquence du trauma vécue par leurs mères. À titre comparatif, Mona reviendra travailler cet après-midi sur une série de dents de lait issues des collections de l’ostéothèque. Sorties de leurs boites, les restes des populations humaines du passé ont encore bien des informations à livrer aux vivants.
Alexandrine Civard-Racinais (texte et photos)
- Des os encore plus anciens, datés du Paléolithique sont conservés dans une chambre forte du Laboratoire PACEA (Université de Bordeaux, CNRS, Min. de la Culture UMR 5199, CNRS), sur le campus de Pessac.
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