Les médicaments anti-dépresseurs sont parfois accusés de favoriser les idées suicidaires. Mais les études menées à ce sujet sont contradictoires, et elles semblent montrer qu’il est en réalité préférable d’y avoir recours pour traiter la dépression chez l’adulte, et en particulier dans les formes sévères
La dépression est l’une des maladies les plus répandues en France. Selon la Haute Autorité de santé, une personne sur cinq connaîtra un épisode dépressif dans sa vie, le plus souvent d’intensité légère à modérée.
Pour traiter ces dépressions, les psychiatres peuvent avoir recours aux anti-dépresseurs. Mais ces derniers ont de potentiels effets indésirables. Et parmi eux, un risque d’augmentation des idées suicidaires, et des tentatives de suicide aux cours des premières semaines de traitement chez les adolescents et les jeunes adultes est généralement mentionné sur la notice de ces médicaments.
« Cela est en réalité très débattu, parce que ce risque est très théorique », souligne Marie Tournier, professeure de psychiatrie à l’université de Bordeaux et à l’hôpital Charles Perrens.
Des résultats différents selon les âges
La Food and Drug Administration, l’institution américaine chargée de la surveillance des médicaments, a réalisé au début des années 2000 une grande méta-analyse compilant un grand nombre d’études cliniques.
Et les résultats étaient contrastés. Si chez les personnes âgées de plus de 65 ans, l’étude a bien montré que les anti-dépresseurs protègent du risque de suicide, ce n’était pas le cas chez les jeunes adultes de moins de 25 ans. Chez ces derniers, il a même été observé une corrélation entre la prise d’anti-dépresseurs et l’augmentation des idées et des conduites suicidaires.
Mais ces études souffrent d’un biais important, analyse la professeure en psychiatrie : « les patients qui participent à ces essais cliniques ne sont pas du tout représentatifs de la population qui est effectivement traitée dans la vraie vie. Lors de ces essais, on compare un antidépresseur à un placebo et le traitement est attribué de manière aléatoire. Il est donc impossible d’y intégrer des patients qui présentent les dépressions les plus sévères ou qui ont des conduites suicidaires, car il y aurait une chance sur deux qu’ils tombent sur le placebo, et qu’ils ne prennent ainsi pas de traitement actif pendant plusieurs semaines ».
Des autopsies psychologiques
Pour étudier l’effet protecteur des anti-dépresseurs dans les cas les plus sévères, les scientifiques recourent donc à des autopsies psychologiques. « Dans ces études, on intègre des victimes de suicides et on les compare avec des personnes qui sont décédées d’une autre manière, lors d’un accident par exemple. On va alors enquêter sur les circonstances ayant mené au suicide, en interrogeant notamment les proches et les soignants. Et ce qu’on retrouve dans toutes ces études, c’est que la plupart des victimes de suicides étaient déprimées, mais elles n’étaient pas traitées par antidépresseurs ou alors elles ne l’étaient pas efficacement », indique Marie Tournier.
Pour la professeure en psychiatrie, « il est donc recommandé de traiter les patients déprimés par antidépresseurs. On considère que c’est quand même la meilleure manière de les protéger du suicide et des conduites suicidaires ».
Mais il est recommandé surveiller ces patients au moins une fois par semaine dans les premières semaines qui suivent la prescription d’un antidépresseur. « On donne un traitement à un patient, qui vient généralement nous voir car la situation n’est plus supportable pour lui. Mais ce traitement va mettre entre 2 et 4 semaines pour agir. Durant cette période, le patient est donc toujours à risque », précise Marie Tournier.
Thomas Allard
Avec le soutien du ministère de la culture