Le nombre de cancers du pancréas explose, en France comme dans le monde entier. Les praticiens déplorent l’insuffisance des progrès face à une maladie pour laquelle le pronostic est toujours très pessimiste. Quels sont les facteurs de risque ? Pourquoi cette hausse préoccupante ? Le point avec deux experts
Le cancer du pancréas est en passe de devenir, d’ici à 2030, la deuxième cause de mortalité par cancer après celui des poumons, en Europe et aux États-Unis. Cette mortalité est parfaitement corrélée à l’augmentation du nombre de cas. « En France, l’incidence est galopante, elle a doublé entre 2007 et 2024 », s’inquiète le professeur Jean-Frédéric Blanc, oncologue digestif au service d’hépato-gastro-entérologie et oncologie digestive du CHU de Bordeaux à l’Hôpital Haut-Lévêque à Pessac.
Le dernier rapport de l’Institut national de cancer montre qu’entre 1990 et 2023, l’incidence des cancers du pancréas a augmenté de 301 % chez les hommes et de 374 % chez les femmes, soit + 3,3 % par an chez les femmes et + 2,3 % par an chez les hommes. Ainsi, le nombre de nouveaux cas, les deux sexes confondus, est passé de 3 690 en 1990 à 15 991 en 2023. Soit cinq fois plus de cas en moins de 30 ans !
« Les chiffres sont vraiment alarmants. L’incidence augmente partout dans le monde et en particulier chez les personnes jeunes (moins de 50 ans) et chez les femmes. Or, ce cancer ne se soigne pas bien », indique le docteur Marc Hilmi, oncologue médical à l’Institut Curie et qui soutient une thèse de sciences* sur ce cancer en octobre.
Le tabac, l’obésité et les pesticides incriminés
« Les facteurs de risque connus sont le tabagisme, l’obésité, le diabète, des facteurs de prédisposition familiale et génétique et des pancréatites chroniques liées en général à l’abus d’alcool, précise le professeur Blanc. Mais ces facteurs de risque n’expliquent pas l’ensemble des cas ni leur augmentation. Nous constatons que le cancer du pancréas s’accroît en Europe et aux États-Unis, dans les pays riches, où l’obésité, la malbouffe (aliments ultratransformés) et la sédentarité augmentent. On trouve aussi des « clusters » (NDLR : groupement de cas) dans les zones viticoles en France. Les pesticides, métaux lourds tel le cadmium, et autres toxiques (antimoine, un retardateur de flamme utilisé dans les industries plastique et textile) pourraient être incriminés. On retrouve ces substances dans les tumeurs mais pas dans la circulation sanguine. Notre mode de vie et notre exposition aux toxiques pourraient donc jouer un rôle dans cette « épidémie ». Mais cela reste des hypothèses, nous n’avons pas de preuves formelles, il faut rester prudent. »
Un microbiote différent ?
L’étude ecoPESTIPAC, qui s’est penchée sur l’association entre cancer du pancréas et exposition aux pesticides, a mis en évidence trois zones de sur-risque de ce cancer en France : la région parisienne, la région Centre et le bassin méditerranéen.
« D’autres facteurs de risques ont été décrits comme l’infection à Helicobacter pylori, une consommation excessive de viande rouge ou insuffisante de fruits et légumes, mais ils doivent être confirmés, ajoute Marc Hilmi. Par ailleurs, la présence de certaines bactéries dans les microbiotes de la salive, intestinal et du pancréas est associée au cancer du pancréas. On ne sait pas si c’est un lien de causalité. »
Un diagnostic tardif…
La particularité du cancer du pancréas est qu’il peut rester silencieux pendant des années. « Le pancréas est un organe profond dans l’abdomen, pas visible ni palpable, explique le professeur Blanc. La tumeur, qui grossit, va entraîner des symptômes mais tardivement : douleurs abdominales, ictère (jaunisse), amaigrissement rapide, diabète récent, fatigue, dégradation générale… Lorsqu’ils sont présents, la maladie est déjà avancée, la tumeur importante et a potentiellement déjà métastasé. Cela laisse peu de chances de guérison. »
…et un taux de survie qui reste bas
En outre, « le seul traitement efficace repose sur la combinaison de la chirurgie pour enlever la tumeur et d’une chimiothérapie lourde. Mais l’ablation doit être réalisée à un stade précoce, l’opération est très lourde et les risques élevés en raison de la proximité du pancréas avec les gros vaisseaux sanguins, ajoute le docteur Hilmi. Par ailleurs, l’immunothérapie, efficace pour d’autres types de cancer, ne fonctionne pas. » C’est pourquoi, le taux de survie à 5 ans est de l’ordre de 5 à 10 %.
*Thèse sur le lien entre le microbiote intratumoral et l’hétérogénéité du cancer du pancréas
Florence Heimburger