3 QUESTIONS A. Une nouvelle loi a été promulguée le 10 mai 2024 afin de renforcer la lutte contre les dérives sectaires en France. Derrière ce renforcement de l’arsenal législatif se cache un constat préoccupant : le nombre de signalements reçus par la Miviludes a augmenté de 86 % entre 2015 et 2021. Comment expliquer une telle hausse ? On fait le point avec Jean-Louis Amelineau, président de l’association Info sectes Aquitaine, chargée de la prévention et de l’éducation sur les phénomènes sectaires

Quels sont les domaines concernés par les dérives sectaires ?

Jean-Louis Amelineau : Tous les domaines de la vie sont concernés, et c’est pour cela que le champ d’action de la Miviludes est dit « interministériel ». On retrouve notamment des dérives au sein des techniques alternatives de santé, de bien être et de développement personnel. Elles sont souvent regroupées sous le terme de PNCAVT, pour « Pratique non conventionnelle à visée thérapeutique ». Il s’agit de techniques « psychocorporelles » basées sur l’apprentissage et le décodage de gestes et parfois aussi sur l’utilisation d’équipements pseudo-scientifiques. Selon la Miviludes, 4 Français sur 10 et 60 % de malades du cancer se soigneraient par le biais de PNCAVT.

Mais on retrouve aussi des dérives dans certains mouvements religieux, dans l’éducation au sein de certaines écoles hors contrat, et dans le domaine de la formation, notamment en entreprise. On observe également une recrudescence des dérives complotistes. Avec les réseaux sociaux, un manipulateur peut tout à fait exercer à distance puisqu’il s’invite chez vous au travers de votre écran.

Quels sont les facteurs qui contribuent à l’augmentation des dérives sectaires en France ?

Jean-Louis Amelineau : En tant qu’association, nous constatons depuis 4 à 5 ans une réelle augmentation des dossiers concernant une demande d’aide ou de conseils de la part de proches de potentielles victimes ainsi qu’une hausse du nombre de signalements.
Le monde actuel est de plus en plus complexe et anxiogène. Cela favorise le retour ou l’adhésion à toutes sortes de croyances servant de refuges.

Pour certains, en plus d’un sentiment de protection, l’adhésion à une idéologie souvent associée à une doctrine offre une solution « clef en mains » et permet de répondre aux attentes du futur adepte. Par exemple, face au désarroi et à la vulnérabilité, la réponse peut être la création de nouveaux repères, ou encore une restructuration de la personnalité. Face à la fragilité, la complexité ou l’absence de liens antérieurs, ces milieux proposent la chaleur fusionnelle de « nouveaux amis ».

Le dénominateur commun à toutes les dérives, c’est la vulnérabilité, qui est le point d’entrée de tout processus. Elle peut toucher tout le monde, sans exception. Qu’il s’agisse de problèmes familiaux, affectifs, ou professionnels, d’un sentiment de solitude, d’une recherche de sens ou de valeurs, ou même de stress, la liste des vulnérabilités est longue. Les instigateurs ou « gourous » en tous genres peuvent alors exploiter ces failles et, souvent sous couvert de masques, promettre une utopie salvatrice, une guérison, une ascension spirituelle, ou une évolution financière dont le but ne sera jamais atteint.

Comment réagir si une personne de notre entourage semble être prise dans un mouvement sectaire ?

Jean-Louis Amelineau : Il n’y a pas de réponse tranchée à cette question. Chaque situation est spécifique, et cela demande une analyse propre et dépend de l’engagement récent ou ancien de la personne concernée. Il faut avant tout pouvoir identifier que l’on est bien face à une potentielle dérive sectaire. Les associations spécialisées peuvent aider à faire ce diagnostic. Il ne faut donc pas hésiter à les contacter pour obtenir des informations et des conseils qui peuvent être primordiaux. Enfin, il y a des erreurs à ne pas commettre. Par exemple, combattre une croyance ne sert souvent à rien sauf à la renforcer chez l’individu concerné.

Propos recueillis
par Thomas Allard

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