Les prothèses modernes sont particulièrement sophistiquées, mais restent difficile à manier. Car les perceptions d’appui, de force, de texture ou encore les sensations thermiques manquent cruellement aux utilisateurs de ces prothèses. Plusieurs équipes de scientifiques tentent donc de restaurer ces sensations perdues
Entre 2011 et 2020, on a recensé en France 1616 amputations majeures du membre supérieur et 116 866 du membre inférieur, ce qui représente en moyenne plus de 13 000 amputations chaque année. Un appareillage est le plus souvent proposé aux patients, que ce soit pour restaurer des fonctions, ou bien dans un but uniquement esthétique.
Des difficultés d’utilisation
Mais voilà, les prothèses permettant de saisir à nouveau un objet ou de remarcher ne sont vraiment pas simples à utiliser. Dans le cas des prothèses myoélectriques par exemple, ce sont les contractions résiduelles des muscles situés sur le moignon qui permettent d’envoyer des ordres à la prothèse.
« La seule solution que l’on a pour ces patients est de mettre en place une sorte de code-morse de contractions musculaires pour adresser le contrôle des différentes articulations. C’est complexe à apprendre, contre-intuitif, et très fatigant cognitivement. Et il n’y a pas de retour sensoriel fourni par la prothèse : la personne n’a aucune idée du toucher, de la force, de la température, ou de la texture de l’objet qu’elle manipule », expliquait le chercheur Nathanaël Jarrassé de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique de Sorbonne Université lors d’une conférence en 2019.
Découragés, les patients sont malheureusement nombreux à abandonner leur appareillage. D’après une étude américaine publiée en 2005 et portant sur 553 patients amputés d’un membre inférieur, seulement 65% des personnes de moins de 50 ans continuaient à utiliser leur prothèse un an après l’amputation. Ce taux chutait même à 22% chez les plus de 80 ans.
Redonner des sensations
Depuis quelques années, plusieurs équipes de recherche explorent donc la piste de la restauration des sensations. Car nous sommes des êtres sensori-moteurs : notre capacité à agir et à bouger est étroitement liée à nos perceptions et à notre ressenti.
Et les premières recherches se montrent prometteuses. En 2019, une équipe suisse a publié une étude dans laquelle les chercheurs sont parvenus à faire ressentir des sensations de mouvement du genou et d’appui de la plante du pied sur le sol chez deux patients amputés. Ils ont pour cela placé des capteurs au niveau du pied et du genou prothétique, afin d’envoyer au patient des stimulations ciblées vers les zones tactiles perdues.
Avec ce dispositif, « nous avons constaté que leur vitesse de marche augmentait tandis que leur fatigue mentale et physique diminuait », soulignent les chercheurs dans leur étude.
L’année suivante, en 2020, une équipe de l’université de technologie de Göteborg a équipé quatre patients avec des prothèses de bras dotées d’un retour sensoriel. Selon les résultats de cette étude, l’utilisation quotidienne de ce type de prothèse pendant plusieurs mois a amélioré grandement l’efficacité de leurs mouvements dans la vie quotidienne.
Retour thermique
Plus récemment, en 2023, une équipe de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) est parvenue à restaurer des sensations de chaud et de froid sur les prothèses de personnes amputées de la main. Pour cela, les scientifiques ont utilisé un capteur très fin, placé sur les doigts de la prothèse. Une petite sonde, ou thermode, en contact avec la peau de la personne amputée sur le bras résiduel, relaie le profil de température de l’objet touché par le capteur en chauffant ou en se refroidissant.
« La prochaine étape concernera le réglage fin des sensations thermiques et leur intégration dans un dispositif qui soit adaptable à chaque patient », indiquent les chercheurs de l’EPFL dans un communiqué.
Car si ces innovations sont prometteuses, elles ne sont pour l’instant qu’au stade de la recherche expérimentale, et il faudra encore quelques années de recherche et de développement avant qu’elles puissent être mises à disposition du grand public.
Thomas Allard